Montréal est connue depuis bien longtemps comme une ville incontournable du spectacle et du divertissement, mais elle était autrefois réservée aux adultes. C’est à partir de 1967 et de la venue à Montréal de l’exposition universelle qu’apparaissent les premières discothèques pour adolescents. Il était désormais possible aux moins de 21 ans de s’adonner à cette pratique sacrée qu’était le « club hopping ».1
SNOOPY’S
La discothèque Snoopy's était un club nocturne emblématique situé à Montréal sur le boulevard Dorchester. Fondé dans les années 1960, le Snoopy's était réputé pour être l'un des endroits les plus branchés de la ville, attirant une clientèle diversifiée avec sa musique entraînante, ses lumières vives et son ambiance animée. Le club était populaire pour ses soirées dansantes et ses performances de DJ, et il est resté un lieu de prédilection pour les noctambules à la recherche de divertissement jusqu’à sa fermeture. Le Snoopy's a laissé une marque indélébile sur la scène de la vie nocturne de Montréal.
Texte assemblé à partir d’archives de journaux
Toutes sortes d’efforts ont été déployés afin de développer le « teen nightlife » à Montréal, mais ce qui a tout déclenché fut sans aucun doute l’ouverture de la discothèque Snoopy’s, au 190 boulevard Dorchester Est, le 19 mai 1967.2
Dans une atmosphère « psychédélisante » digne de Timothy Leary, où se croisaient follement des jets de lumières tantôt bleues, tantôt jaunes, tantôt orange, les mini-adultes de Montréal dépensaient leur énergie dans un nouveau temple: le Snoopy’s. Les effets lumineux du Snoopy’s avaient l’avantage de marquer le rythme de la musique entendue. Snoopy était nul autre que le chien de Charlie Brown, le gamin-philosophe des bandes dessinées. Et c’est pourquoi nous retrouvions un peu partout dans la boîte la présence de ce sympathique cabot et de son maître. Le gérant du Snoopy’s, Jean Fritsch, ex-gérant du Drug, a confié au journal La Patrie que « cette discothèque abstinente (on n’y servait pas d’alcool) répondait à un réel besoin pour les adolescents. »3
190 boulevard Dorchester Est (aujourd’hui le blvd. René-Lévesque Est), Montréal
Enfin, quelqu’un avait décidé d’ouvrir une discothèque décente pour adolescents à Montréal. Il était temps! L’éclairage était la clé de son succès et le Snoopy’s avait des lumières qui rivalisaient avec tout ce qui pouvait être vu à l’Expo 67. En fait, le Snoopy’s avait un stroboscope que même l’Expo n’avait pas. C’était un endroit amusant, bizarre, cool et excitant. Des sous-marins et du Coca-Cola étaient servis.4,5
Le Snoopy’s est né dans l’esprit de Terry Flood et Bob Lemm, deux résidents du Lakeshore qui ont décidé au début de 1967 que Montréal avait besoin d’un endroit comme le Cheetah à New York, un club qui s’adressait directement aux jeunes. Ce sont eux les propriétaires du Snoopy’s. Avec un peu d’argent, ils ont commencé à chercher un endroit approprié pour ouvrir leur club. Ils trouvèrent finalement un vieux théâtre sur le boulevard Dorchester et se mirent au travail. L’expérience de Bob en tant qu’artiste commercial a été d’une grande aide pour définir le décor, arranger les lumières, mais ce dont on avait le plus besoin à ce moment-là était un dos solide et la volonté de travailler 20 heures par jour. La discothèque Snoopy’s a été inaugurée avec un spectacle du groupe Trixie and the Inmates et Les Sinners. Le hard-rock a prévalu pendant un moment mais ils ont ensuite fait venir un groupe de la Floride, The Gap, qui a influencé les jeunes à s’intéresser à la musique rock-psychédélique.2,6
Mais c’était l’année de l’Expo 67 et le Snoopy’s a dû lutter pour garder la tête haute alors que la population montréalaise se dirigeait en masse vers l’île Sainte-Hélène et l’île Notre-Dame – y compris The Gap, qui jouait au Pavillon de la jeunesse. Une fois l’Expo 67 terminée, Terry et Bob savaient que l’avenir du Snoopy’s était en jeu: « Ça passe ou ça casse. » Grâce à l’aide d’un des groupes les plus populaires de Montréal, The Carnival Connection, qui avait un son hard-rock nouveau et grâce à une puissante lumière stroboscopique, le Snoopy’s a réussi à attirer les foules.2
En 1968, l’industrie du nightlife pour les jeunes était en plein essor à Montréal et le Snoopy’s opérait maintenant à deux niveaux et sur deux étages. Donald Tarlton, de l’agence Donald K. Donald (fondée en 1966), déménagea son bureau du sous-sol de chez sa mère à Rosemère à l’étage supérieur du Snoopy’s dans des bureaux ultra modernes comprenant dix studios de pratique. Tarlton investit 4 000$ dans le Snoopy’s et vendit à Terry Flood et Bob Lemm une partie de son agence.6,7,8,9,10,23
Donald K. Donald contrôlait à ce moment-là une grande partie du marché local des jeunes à travers les spectacles de rock dont il faisait la promotion, les légions de groupes locaux qu’il représentait et une demi-douzaine d’autres projets artistiques.9 « Le milieu a évolué. Les groupes ont commencé à réclamer d’énormes systèmes de son, des systèmes d’éclairages, des costumes, etc… J’ai grossi de cette façon durant toute l’ère des Beatles. »11
Contribution: Ted Brennan
Le système de lumière psychédélique du Snoopy’s était disponible à la location. Le show de lumière a été vu au spectacle de The Who (27 mars 1968), présenté au Forum et organisé par Donald K. Donald.7
The Who, 27 mars 1968, Forum de Montréal
Tous les groupes locaux de la ville ont joué au Snoopy’s: Graham Powers & the Escorts, Bartholomew Plus Three, The Carnival Connection, The Haunted, Simple Simon & the Piemen, The Rabble, Sweet Lorraine & The Munks, Trixie & the Inmates, Our Generation, Trevor Payne & the Soul Brothers et bien d’autres.27
Au printemps 1968, Tarlton, Flood et Lemm ont transporté leur discothèque là où se déroulait l’action: sur le site de Terre des Hommes, lieu de prolongation temporelle de l’Expo 67. Les lumières, la sonorisation et les disques du Snoopy’s avaient été installés au Pavillon de la Jeunesse, tandis que la discothèque du boulevard Dorchester était fermée.2 Ils ont ensuite utilisé le capital empoché au Pavillon de la Jeunesse pour décrocher deux autres grands spectacles : Jimi Hendrix (2 avril 1968) et Cream (11 juin 1968) à l’Aréna Paul Sauvé.10
The Guess Who, The Rabble, 10 mai 1968, Campus Loyola et Aréna de Dorval
Donovan, 23 octobre 1968, Aréna Paul-Sauvé
« Les productions Donald K. Donald constituaient une partie d’un ensemble d’entreprises dans lesquelles j’avais des intérêts », a déclaré Tarlton, « il y avait deux volets à mon agence. L’une était une agence théâtrale, dirigée par Bob Rags, qui présentait des groupes locaux dans les écoles, dans les salles de danse, dans les sous-sols d’églises, et ainsi de suite. L’autre volet concerne la promotion des concerts et des disques. Nous étions des promoteurs, pas des imprésarios. Nous promouvions des spectacles pour le Forum de Montréal et les carnavals universitaires. Nous avions aussi quelques sociétés sœurs dans nos bureaux. Flood & Lemm Management, par exemple, gérait The Triangle (futur Mashmakhan), The Coven et François Guy qui s’était séparé du groupe La Révolution Française. Nous opérions aussi le label Aquarius. »9,11 Le premier président d’Aquarius fut Terry Flood et les autres propriétaires fondateurs étaient Donald Tarlton, Bob Lemm, Dan Lazare et Jack Lazare. Parmi les premiers artistes signés sur le label Aquarius figuraient les artistes April Wine, Walter Rossi et Teaze.12
Au cours de l’été 1968, la discothèque Snoopy’s est rénovée et adaptée au son de la nouvelle tendance: la musique soul.2 La discothèque portait désormais le nom de « Snoopy’s Soultheque ».13 Un nouveau système de son a été installé, les murs sont démolis et la peinture et des affiches ont été généreusement appliquées. La Soultheque a été inaugurée avec un spectacle du chanteur Trevor Payne qui revenait d’éblouir son public dans l’Est du Canada.14,15
Contribution: Ted Brennan
Est-ce que la Soultheque était populaire ? Eh bien, croiriez-vous qu’un soir, alors que le DJ Charles P. Rodney Chandler devait faire une apparition, il n’a pas pu traverser la foule devant lui et a dû grimper par l’escalier de secours?2
Bob Lemm profite de ce changement pour ouvrir un nouveau bar, le Laugh-In, au 2ème étage du Café André, 2077 rue Victoria à Montréal. Le Laugh-In passe aussi à l’histoire.16 C’est là que le groupe montréalais Mashmakhan (autrefois The Triangle) a été découvert. Plusieurs groupes de passage au Forum ont fait du Laugh-In leur destination de choix après leurs spectacles. Parmi les artistes ayant visité le Laugh-In on peut nommer Johnny Winter, The Doors, Steppenwolf, Donovan, The Guess Who, Three Dog Night, Chicago, Blood, Sweat And Tears, Procol Harum et Jethro Tull. Certains d’entres eux ont même foulé la scène du Laugh-In au grand plaisir des clients ébahis.20,21,22
En 1969, Montréal a obtenu sa salle Fillmore, sans lien direct avec la salle historique de San Francisco aux États-Unis. « Snoopy’s Fillmore North » ouvre ses portes le 14 mars 1969 dans ce qui était auparavant le Snoopy’s Soultheque. La Soultheque, devenue depuis deux ans l’un des lieux incontournables pour les ados, avait effectué ce changement afin de tenter de plaire à plus de gens. Dans les derniers mois, le club avait soutenu principalement le style R&B mais avait décidé de retourner au son rock-soul-contemporain de l’époque. L’idée du Fillmore North était à peu près la même que celle du Fillmore aux États-Unis: essayer d’accueillir le plus grand nombre de jeunes possible.17 Le club a toutefois fermé ses portes à la fin du mois d’avril 1969.18
« Entre 1967 et 1969 ont été les années les plus difficiles, explique Tarlton. La danse s’est arrêtée. Il y a eu une transition de la danse aux concerts. C’est à ce moment-là que je me suis lancé dans le GROS show business. »26
Bob Lemm et Terry Flood, les fondateurs du Snoopy’s et les associés de Donald Tarlton, poursuivent leurs activités au sein de l’organisation Donald K. Donald: Terry Flood avec le label Aquarius et l’agence de gestion d’artistes Terry Flood Management (Terry a été le gérant d’April Wine pendant plus de 20 ans), et Bob Lemm avec l’agence de publicité Promotivations.23
De 1968 à 1996, Donald K. Donald a produit plus de la moitié des spectacles (539) de toute l’histoire du Forum. Son palmarès personnel: les Rolling Stones en 1972, Pink Floyd de 1973 à 1987, Céline Dion en 1991, Madonna en 1987, April Wine en 1980-1981, Rod Stewart de 1971 à 1996, les Bee Gees de 1973 à 1979, Led Zeppelin de 1970 à 1975, Elton John de 1972 à 1995 et Tina Turner en 1987.19,25
« Pour l’une de nos productions, en 1969, nous avions réuni Robert Charlebois et Steppenwolf. Un match parfait! Un big statement aussi parce que c’était la première fois qu’un artiste québécois avait son nom en gros sur l’affiche du Forum. Il y avait 12 000 personnes. Charlebois portait un chandail du Canadien et, quand il a chanté Lindbergh, on a senti la fierté dans le Forum. »19
Steppenwolf & Charlebois, 23 juin 1969, Forum de Montréal
The Doors, La Révolution Française, Trevor Payne, 14 septembre 1969, Forum de Montréal
Au début des années 1970, le Forum avait déjà vu passer la british invasion: les Beatles (1964), les Rolling Stones (1965), The Who (1968). Montréal, sous les bons soins de Donald K. Donald, s’est mis à la grande messe-psychédélique — The Doors, Janis Joplin, Led Zeppelin, Black Sabbath — mais sans s’y limiter.19
Janis Joplin avait vomi partout sur les chaussures du mentor de Donald Tarlton, le célèbre promoteur local Sam Gesser. « C’était le début de l’ère du hard rock et Sam Gesser avait du mal à s’intégrer à la culture. Il m’avait embauché comme stage-manager. Janis était ivre et vomissait partout. Sam Gesser était horrifié. Il m’a regardé et m’a dit : « Donald, tu peux t’occuper de tous les shows rock. » Et c’est comme ça que je suis devenu LE promoteur rock de Montréal.»28
Led Zeppelin, 7 juin 1972, Forum
En tout, au cours de sa carrière, Donald Tarlton a produit plus de 5 000 concerts dans une centaine de villes canadiennes. Il a également travaillé à la direction de BCL, la division spectacle de la brasserie Labatt, conservant tout de même ses privilèges au Forum, « le fief de Molson ». En 1998, il s’est retiré de la production de spectacles pour se concentrer sur sa passion, le disque. Il crée alors une nouvelle étiquette, DKD Disques, dont la première parution, La Chicane, fut un succès. Même s’il a quitté l’industrie du spectacle, il est demeuré consultant pour « House of Blues Canada », détenu à 50 % par Molson. Sa compagnie regroupe Aquarius Records, Tacca Musique, DKD Disques et DKD D-Noy Musik. De plus, les contributions bienveillantes de Donald Tarlton ne sont pas passées inaperçues.19
Grâce à ses contributions et son engagement auprès de diverses organisations caritatives et civiques telles que The Lakeshore General, The Missing Children’s Network, et ses efforts considérables afin de venir en aide aux victimes des inondations au Saguenay, Donald Tarlton s’est vu décerner l’Ordre du Canada en 2000.19
En 2007, Tarlton a reçu le prestigieux Walt Grealis Special Achievement Award pour sa contribution à la croissance et au développement de l’industrie musicale canadienne, un honneur qui se classe au même niveau que l’Ordre du Canada.28
Tarlton et son grand ami et associé de longue date, Terry Flood, ont tous deux reçu le prix MMF Canada Pioneer Award en 2012. « Terry est une personne des coulisses qui n’a pas reçu la reconnaissance qui lui est due. Donc, en ce qui me concerne, ce prix est dédié à Terry Flood. Il a été un grand pionnier, un grand mentor, un acolyte et un ami au fil des années. » Tarlton poursuit : « L’une des grandes forces de Terry a été d’avoir bâti ce Rolodex des meilleurs exécutifs de l’industrie de toute l’Amérique du Nord et du monde entier, en concluant des accords pour tous les artistes avec lesquels nous avons travaillé et en permettant à ces artistes de développer leur carrière dans des territoires étrangers. »28
Les adolescents montréalais ont eu de la chance de profiter des initiatives de gars comme Terry Flood, Bob Lemm et Donald Tarlton. Ce sont eux qui ont comblé un grand fossé entre les soirées dansantes à l’école et les clubs de nuit qui leurs étaient inaccessibles avant l’âge de 21 ans en raison des lois québécoises sur l’alcool. Lorsque L’Expo 67 allait se terminer, on se posait la question: « On sort où maintenant? » Le Snoopy’s était la réponse.24
Merci Terry, Bob et Donald.