ROCKHEAD'S PARADISE
Le Rockhead’s Paradise, initialement connu sous le nom de taverne Mountain, était un ancien show-bar situé dans le quartier de la Petite-Bourgogne. Fondé en 1928 par l’entrepreneur Rufus Rockhead, il s’agit de la plus connue des boîtes de nuit dévouées à la clientèle noire à Montréal.
Rufus Rockhead est le fondateur du Rockhead’s Paradise et le premier propriétaire noir d’un club à Montréal.
Ce texte est assemblé à partir des sources suivantes: l’Encyclopédie Canadienne et Rohinton Ghandi
Le Rockhead’s Paradise (1936-1953) & (1962-1980), initialement connu sous le nom de taverne Mountain (1928-1936), était un ancien show-bar situé dans le quartier de la Petite-Bourgogne. Fondé en 1928 par l’entrepreneur Rufus Rockhead, il s’agit de la plus connue des boîtes de nuit dévouées à la clientèle noire à Montréal. Le Rockhead’s Paradise a accueilli en ses murs des légendes du jazz américain comme Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Lead Belly, Nina Simone, Fats Waller et Dizzy Gillespie. Plusieurs de ces légendes américaines s’y rendaient, après leurs engagements en fin de soirée, afin de rejoindre l’orchestre maison et participer aux jam sessions. Le Rockhead’s Paradise a également aidé à lancer la carrière de talents de la région, notamment Oscar Peterson.1,3
Rufus Nathaniel Rockhead naît à Maroon Town, en Jamaïque, vers 1896. Il est le descendant d’une longue lignée de Marrons qui se sont battus contre le pouvoir britannique pour obtenir leur indépendance et leur liberté au cours des siècles d’esclavage. À 22 ans, Rufus Rockhead se rend par bateau à Halifax, pour ensuite faire son chemin jusqu’à Montréal. Le 29 janvier 1918, il s’enrôle dans l’Armée canadienne, où il sert à titre de soldat d’infanterie de première classe au sein du 1er Bataillon de dépôt du 1er Régiment de Québec.1
Rufus Rockhead se bat en France pendant la Première Guerre mondiale. Il reçoit la Médaille de guerre britannique et la Médaille de la victoire pour son service. Le 19 mars 1919, il retourne à Montréal et obtient son congé. Il gère d’abord un kiosque de cirage de chaussures avant de devenir préposé de voitures-lits pour le Chemin de fer du Canadien Pacifique, un des rares emplois offerts aux hommes noirs au Canada à l’époque. Pendant ses 8 ans comme préposé, il effectue le parcours entre Montréal et Chicago et fait des affaires en or en vendant de l’alcool de contrebande aux États-Unis pendant la prohibition.1
En 1927, Rufus Rockhead met fin à son emploi de préposé. La même année, il se marie avec Elizabeth (Bertie). De leur union naissent trois enfants : Kenneth, Jacqueline et Arvella.1
En 1928, il fait la demande d’un permis de bière pour ouvrir une taverne, mais le commissaire lui répond: « Vous savez que nous ne donnons pas de licences aux personnes de couleur. » Rockhead persiste et après 11 mois à « tirer les ficelles », il devient le premier citoyen noir de Montréal à détenir un permis de taverne. Il a d’abord essayé d’acheter un immeuble sur la rue Bleury et Sainte-Catherine mais a été refusé. Peu de temps après, il achète un immeuble de trois étages, au coin de la Montagne et de Saint-Antoine, et ouvre [la taverne Mountain].2
Vidéo par Bella Black History Foundation
En 1929, Rockhead ajoute un comptoir-repas servant des repas complets pour 25 cents et ouvre un hôtel de 15 chambres au dernier étage [l’hôtel Mountain]. En octobre 1929, le crash économique déclenche la Grande Dépression, mais Rockhead n’est pas découragé.2
En 1935, après une longue attente pour l’obtention d’un permis de spiritueux, il transforme son entreprise en bar à cocktails. Comme la prohibition fait encore rage aux États-Unis, beaucoup de touristes et de musiciens de jazz américains affluent vers Montréal, qui devient la capitale des boîtes de nuit au Canada.1
Rufus Rockhead enregistre son entreprise Rockhead’s Paradise en 1936.3*
Grâce à l’argent qu’il a accumulé en faisant de la contrebande aux É.-U., Rufus Rockhead réalise donc son rêve de toujours d’ouvrir un bar et une boîte de nuit accueillant un orchestre live et divers artistes et organisant des soirées dansantes. C’est tout naturellement qu’il ouvre une entreprise dévouée à la populaire musique jazz, puisque la majorité du jazz au pays est jouée et enregistrée à Montréal à l’époque.1
Rockhead’s Paradise, 1252 rue Saint-Antoine Ouest, Montréal, BAnQ
La célèbre enseigne au néon « Rockhead’s Paradise » illumine bientôt le coin de rue. Or, une loi exige que les hôtels aient une entrée séparée. Rockhead conserve le bar à cocktails au rez-de-chaussée, transforme le deuxième étage en boîte de nuit et converti le troisième étage de l’ancien hôtel en salle à manger, avec la célèbre « Stump’s Kitchen ». La moitié du plancher du troisième étage est complètement découpée afin que les clients puissent regarder les spectacles depuis leurs perchoirs au-dessus.2
Vidéo par MEM Centre des mémoires montréalaises
Les années 1940 ont été l’apogée du club, car la guerre a amené des militaires assoiffés et avides de divertissement. Rockhead leur a donné de grands spectacles scintillants, mettant en vedette des comédiens, des acrobates, des danseurs à claquettes, des danseuses exotiques et une chorale appelée les «Rockhead-ettes». Le groupe maison, Allan Wellman’s Orchestra, a fourni la musique à bon nombre de ces interprètes. Le Rockhead’s est devenu aussi célèbre que le Cotton Club de Harlem à New York et a fait de Rufus un homme riche.2
Rockhead a accueilli tout le monde dans son paradis, sans les règles des clubs des quartiers chics. Il portait toujours une fleur rouge à son revers et tendait une rose à chaque dame à son entrée. Dans son club, les musiciens noirs et blancs se produisaient librement et tous les clients appréciaient le jazz, quelle que soit leur race.2
Vidéo par BCRC
En 1951, Rockhead amène son fils Kenny (21 ans) à bord de l’entreprise et dépense $100,000 pour doubler la taille du club et installer un nouveau système de climatisation. En 1952, une fois les rénovations terminées, Rockhead refuse de faire une « contribution politique » de $40,000 au parti de Duplessis. Il offre la moitié, ce qui n’a pas suffi à sauver son permis d’alcool (spiritueux). Sous une fausse accusation de rester ouvert après les heures d’ouverture, le club est cadenassé, en 1953, avec tout en place, sauf $10,000 d’alcool qui n’a jamais été revu.2
Pendant les 8 années suivantes, seule la taverne (bières et vins — sans spiritueux) paye les factures alors que son complexe Rockhead’s Paradise pourri, et avec lui la fortune de Rockhead. Rockhead vend un autre immeuble d’appartements et deux duplex pour éviter la faillite et a souvent été vu assis tranquillement sur un tabouret à l’extérieur de sa taverne vide sur la rue de la Montagne. Seul un miracle pouvait sauver son rêve.2
Vidéo par BCRC
En 1960, ce miracle est arrivé. Avec les libéraux au pouvoir, Rockhead’s était de retour. La réouverture du club, en 1962, a été une expérience surréaliste, avec des toiles d’araignées s’étendant du plafond au sol et de la poussière recouvrant tout. Après avoir été fermé pendant si longtemps, l’endroit a été pratiquement oublié. L’action à Montréal s’est déplacée vers le centre-ville et la télévision a réduit le trafic des boîtes de nuit. Bien que des têtes d’affiche comme Redd Foxx, Nipsey Russell, Sammy Davis Jr. et le musicien montréalais Oliver Jones remplissent parfois le club, le Paradise continue de se débattre. La réputation de Rockhead serait à nouveau son sauveur. Dans les années 60, les hôtels et restaurants de Montréal n’avaient pas la même discrimination de couleur que dans les États du sud des États-Unis, qui accueillaient les touristes noirs au Canada. Quand ils viennent à Montréal, ils viennent chez Rockhead. Quelques autobus touristiques arrivent au début, mais bientôt ils affluent au Paradise pour leurs vacances. Année après année, les lignes d’autobus se développent tout comme l’entreprise. À l’été 1973, le club de 300 places était rempli en 20 minutes et le bar était à court de scotch à minuit. Comme Rufus Rockhead a simplement souri et a dit à Kenny: « c’est comme au bon vieux temps! »2
24 février 1964, The Gazette
De 1970 à 1980, malheureusement, les temps ont changé. En effet, le quartier Saint-Antoine souffre de dégradation urbaine et l’intersection de Saint-Antoine et de la Montagne n’est plus l’épicentre de la vie nocturne de jadis.1
En mars 1978, Rockhead subi un grave accident vasculaire cérébral et entre à l’hôpital des anciens combattants de Sainte-Anne-de-Bellevue.2
Le fils de Rufus, Kenneth, prend les rênes du Rockhead’s Paradise et commence à y présenter des groupes soul/funk locaux. Malgré ces efforts, Kenneth décide de vendre le club en 1980 à un jeune entrepreneur guyanais nommé Rouè Doudou Boicel.1
Rouè Doudou Boicel, un fervent défenseur du jazz, fonde le Rising Sun Celebrity Jazz Club en 1975. L’acquisition du Rockhead’s Paradise en 1980 lui permet de déménager son institution dans le nouveau bâtiment. Le club de jazz de Rouè devient rapidement un lieu de rencontre pour les amateurs de jazz et de blues. Tout comme le Rockhead’s Paradise dans ses jours de gloire, le Rising Sun Celebrity Jazz Club met en vedette de célèbres musiciens de jazz et de blues provenant du Canada et des États-Unis. En raison d’une importante dette contractée par le Rockhead’s Paradise au cours des dernières années, toutefois, Rouè est forcé de déménager le club à son emplacement original, sur la rue Sainte-Catherine Ouest.1
Rufus Rockhead immigre au Canada à une époque où le pays restreint l’immigration noire et s’installe dans une ville où les autorités désapprouvent l’entrepreneuriat chez les Noirs. Non seulement Rufus Rockhead crée-t-il une entreprise florissante, mais il soutient aussi la carrière de nombreux jeunes musiciens noirs qui n’ont pas l’occasion de faire valoir leurs talents ailleurs. Rufus Rockhead décède le 23 septembre 1981 à l’hôpital des anciens combattants de Sainte-Anne-de-Bellevue. En 1989, Montréal lui rend hommage en donnant son nom à une rue, la rue Rufus-Rockhead, dans le quartier de la Petite-Bourgogne.1