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CAFÉ VAL D’OR

CAFÉ VAL D’OR

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CAFÉ VAL D’OR

1938-1947

1938-1947

1938-1947

1938-1947

1938-1947

Le Café Val d’Or \ Au Faisan Doré fut le premier grand cabaret francophone du Québec

Au Faisan Doré, 1417 blvd. Saint-Laurent, Montréal, Mémoires des Montréalais crédit photo: Evelyne Febbrari

CAFÉ VAL D’OR (1938-1947)

Le Val d’Or (1938-1947) et le Faisan Doré (1947-1950) étaient situés au second étage du 1417 boulevard St-Laurent à Montréal.

Ce lieu était auparavant occupé par le premier grand cabaret du boulevard Saint-Laurent; le cabaret Frolics (1929-1933), suivi du cabaret Connie’s Inn (1933-1935) et du Casino de Parée (1935-1937).1

Grande ouverture du Café Val d’Or, 5 octobre 1938, BAnQ

L’ouverture du Café Val d’Or correspond à la grande période des cabarets montréalais mais aussi à un milieu où tous les spectacles (ou à peu près) se faisaient en anglais.1

Le Café Val d’Or passe sous une administration majoritairement francophone et française à partir de 1942. Ce changement est déterminant. Désormais, l’animation se fait en français, ce qui ne change rien à la nature du reste du spectacle qui est donné en anglais.Le gérant se nomme Wilfrid Breton.9

Deux des propriétaires sont Marius et Edmond Martin, des frères marseillais. Edmond Martin, un bonhomme jovial au coeur d’or, rêvait d’ouvrir un cabaret francophone à Montréal.

Malheureusement, dans le Montréal des années 1940, les cabarets, considérés comme des fiefs de la pègre, ne présentent que des spectacles en anglais et n’offrent pas beaucoup de variété. Les mêmes gags circulent d’une boîte à l’autre. Pour compléter le spectacle, qui comprend deux représentations les soirs de semaine et trois le samedi, on invite une chanteuse de ‘’Hit Parade’’ ou l’inévitable chanteur à voix. La soirée se termine avec un numéro de cirque acheté aux États-Unis par catalogue, où défilent indistinctement chiens savants, contorsionnistes et danseuses exotiques.5

Jacques Normand, le plus grand humoriste du Québec avant l’arrivée d’Yvon Deschamps, dans un style différent mais tout aussi percutant, débute sa carrière d’animateur de cabarets au Café Val d’Or, en 1945.4,5

Jacques Normand, 1949, BAnQ

Dans sa biographie, Jacques Normand raconte que « les grosses bouteilles de bière trônaient sur les tables de ce cabaret western, où il n’était pas rare de les voir achever leur règne en mille éclats sur la tête des clients qui, une fois éméchés, ne pouvaient concevoir une soirée sans une bonne et virile bagarre générale. »5

Afin de le convaincre, Edmond Martin offre carte blanche à Jacques Normand. « Carte blanche, je veux bien. Seulement moi, je sens que je vais m’attirer des bosses et je ne veux pas me ramasser le crâne fendu. »5

La grande majorité de la clientèle du Café Val d’Or compte des bons vivants un peu mal dégrossis, des péquenots qui ont quitté leur campagne natale dans l’espoir de trouver du travail à Montréal. Jacques n’a pas grand-chose à craindre de ceux-là. S’il doit se méfier de quelqu’un, c’est plutôt de la poignée d’habitués incurables, s’ajoutant à quelques petits malfrats sans envergure. Des petits racketteurs italiens qui assujettissent les lieux à leurs lois. Ces gangsters à la noix se comportent comme les rois et maîtres de la place sous prétexte qu’ils sont à la solde de Vincent Cotroni. Edmond Martin espère ardemment que Jacques Normand acceptera son offre: « Mais avant, dit-il, tu devras rencontrer le proprio. » Le proprio? « Monsieur Cotroni, Vincent Cotroni »[et son partenaire d’affaires René Cousineau.]9

Homme plutôt courtois, propriétaire de nombreux cabarets à Montréal, Monsieur Cotroni — Vic pour les intimes — l’accueille chaleureusement. Vincent Cotroni est fasciné par les arts. Il aime accorder une chance à ceux en qui il a confiance, se plaisant à être considéré comme l’ami des artistes. « Vous commencez la semaine prochaine, monsieur Normand. Si vous ne me décevez pas, après le Val d’Or, il y en aura beaucoup d’autres. Vous pouvez en être certain. »5

Dès le premier soir, à peine Jacques a-t-il chanté quelques chansons de son répertoire que les injures fusent de tous les coins de la salles. « Fifi! Tapette! » entend-il à travers les rires gras des clients.5 Chanter des chansons de Charles Trenet dans les boîtes de Montréal, c’était risquer de se faire traiter de ‘’tapette’’!6 Cotroni, qui aime bien Jacques Normand, décide de l’envoyer à New York, travailler comme animateur-chanteur au fameux Bal Tabarin, un cabaret à l’angle de la 47ème et Broadway, tenu par des Corses et des Siciliens. Cotroni fait passer Jacques Normand pour un parisien. « Jacques Normand from Paris ». Il n’est pas mieux reçu par les Américains. Il revient à Montréal l’année suivante et est engagé par la station de radio CKVL.5

AU FAISAN DORÉ (1947-1950)

En 1947, les frères Martin ont été obligés de fermer leur cabaret, le Val d’Or, faute de pouvoir renouveler leur permis de débit de boissons. Que s’est-il donc passé? Auraient-ils trahi la confiance de l’honorable Maurice Duplessis? Peut-être n’ont-ils pas souscrit à la bonne caisse électorale? La rumeur la plus persistante veut qu’on ait servi de l’alcool aux mineurs au Val d’Or. Habitués aux magouilles administratives et gouvernementales, les frères Martin présument que pour récupérer ce permis, il suffit de transformer ce cabaret en un restaurant, même si la boîte n’a de restaurant que la raison sociale. De fait, le nouveau cabaret « Au Faisan Doré » (1947-1950) obtient son permis d’alcool sans coup férir.5

Au Faisan Doré, 1417 blvd. Saint-Laurent, Montréal

« Tu ne reconnaîtras pas les lieux, dit Edmond. Tout a été transformé. Seulement, ça ne marche pas à notre goût…».5

« Ce n’est pas le vieux Val d’Or qu’il fallait changer, c’est sa clientèle. » répond Jacques Normand. Il accepte néanmoins l’offre des frères Martin. Jacques leur confie avec passion son rêve d’une boîte bien tenue, où non seulement tous les artistes pourraient se produire, mais où le public serait invité à monter sur la scène. « Puis, je veux qu’on donne une chance aux jeunes artistes de chez nous…»5

Le successeur du Val d’Or, le Faisan Doré, participe à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes québécois francophones. Il appartenait aux mêmes propriétaires, les frères Martin, mais était toujours lié à un mafioso appelé à devenir célèbre, Vincent Cotroni, l’un des fondateurs de la mafia montréalaise, et de son partenaire Armand Courville.1

Vincent Cotroni, Armand Courville, Wikipedia

Le changement de nom (de Café Val d’Or à Faisan Doré) ne portait pas que sur la langue utilisée, il concernait tous les éléments du spectacle et, en particulier, il nécessitait la participation très active du public.1

En 1948, Edmond Martin, qui a promis à Jacques Normand de l’aider à n’attirer au cabaret qu’un auditoire de qualité, invite Émile Prud’homme, le plus grand nom de l’accordéon français, à venir donner un spectacle au Faisan Doré. Jean Rafa, le chanteur-animateur parisien, fait partie de la troupe. Peu de temps après son arrivée, Jean Rafa souffre d’une méningite. Le malade prend du mieux, mais la convalescence s’annonce longue et les soins médicaux n’étant pas gratuits, il accumule une dette faramineuse. « On va te garder au cabaret jusqu’à ce que ta dette soit remboursée » décide Edmond Martin. «T’en fais pas, bonhomme, je vais te sortir de ton trou, moi » lui promet Jacques Normand.5

Le Petit Journal, 12 décembre 1948, BAnQ

Toujours à l’affût de jeunes artistes pour le Faisan Doré, Jacques Normand épluche soigneusement les journaux. Un jour, il découvre que deux Parisiens donnent des représentations au cabaret du Quartier Latin, rue de la Montagne à Montréal. La publicité parle de ‘’célèbres’’ chansonniers parisiens. Ce sont Pierre Roche (29 ans) et Charles Aznavour (24 ans). Un soir, entre deux représentations, Jacques se rend au Quartier Latin pour les entendre. Quelle prestation! Quels talents prodigieux! Entre deux chansons, il apprend que Roche et Aznavour sont les protégés d’Édith Piaf. Après leur numéro, il s’arrange pour rencontrer les deux jeunes artistes et leur fait l’éloge du Faisan Doré. « Nous connaissons déjà le Faisan Doré et nous en avons entendu du bien. Nous aimerions bien accepter votre offre sur le champ, mais un contrat nous lie au cabaret du Quartier Latin. » On vous attendra, leur dit-il, courtois. Deux semaines plus tard, Roche et Aznavour sont accueillis comme des princes par les frères Martin où ils signent un contrat leur concédant de multiples avantages. En peu de temps, Roche et Aznavour deviennent les vedettes du cabaret le plus couru en ville.5

Le Canada, 15 décembre 1948, BAnQ

« C’était l’après-guerre», raconte Jean Rafa, « et pour nous qui arrivions d’Europe, Montréal c’était le Klondike : ici, l’argent coulait à flot. En France, c’était la misère. Au Faisan Doré, où je travaillais, j’ai présenté Roche et Aznavour. L’atmosphère de cette époque était extraordinaire. Le Faisan Doré, restauré par Edmond Martin, pouvait recevoir 600 personnes et on y vendait 2,400 grosses bouteilles de bière par soir».7

Au Faisan Doré, Wikipedia

L’atmosphère est à son meilleur au Faisan Doré. À l’instar du public montréalais, les artistes sont heureux de chanter dans une boîte où le français est si bien accueilli. Leur spectacle est à ce point varié que même la clientèle peut revenir sans jamais se lasser. Jamais une soirée ne se termine sans que les pots-pourris s’enchaînent, couronnant la soirée d’une ambiance de chaude fraternité. Au Faisan Doré, les clients offrent des consommations à tous les artistes. À l’heure de fermeture, la joyeuse bande se transporte dans un spaghetti house et il n’est pas rare que plusieurs ne rentrent pas à la maison que vers les dix heures du matin.5

Les Nuits de Montréal deviendra la chanson emblématique de cette grande période (1945-1960) des cabarets montréalais.

Jacques Normand compte désormais près de deux mille chansons à son répertoire. Il les interprète à la radio, au Faisan Doré et enregistre ses préférées dans les studios de RCA Victor. Au Faisan Doré, les spectateurs arrivés au début de la soirée demeurent jusqu’à la fermeture parce que leur intérêt est soutenu par de nouvelles chansons. Jacques vise juste. Ses spectacles remportent un succès sans précédent. De plus en plus, les bien nantis se mettent à fréquenter le cabaret des frères Martin. Les femmes sont encore plus nombreuses. Toutes ces femmes sont là pour apprécier les chansons et aduler l’animateur vedette. Depuis son entrée au Faisan Doré, Jacques est assailli par un nombre impressionnant de femmes. La vie de couple ne lui ayant pas trop réussi, il ne dédaigne pas ces rencontres d’un soir.5

Jacques Normand, qui demeure l’animateur vedette de l’établissement durant ses trois années d’existence, rappelle la nature du projet: « L’opération Faisant Doré consistait donc à faire de cette boite, le Val d’Or, un cabaret français en y mélangeant la formule des « chansonniers de Montmartre », la chanson populaire et une participation du public selon la formule à succès dont on se servait à CKVL. »1

Grace à Jacques Normand, Monique Leyrac va connaître sa première chance et devenir l’une des plus grandes chanteuses du Québec. Le Faisan Doré servira de tremplin à plusieurs autres artistes de talent, notamment Denise Filiatrault, Aglaé et Colette Bonheur. Deux jeunes garçons lui devront aussi leur entrée dans le monde artistique: Fernand Gignac et un gentil serveur du nom de Raymond Lévesque. Le dimanche après-midi, les débutants peuvent tenter leur chance dans un concours d’amateurs. Gilles Pellerin présente les participants, Billy Monroe les accompagne au piano et des prix leur sont décernés. Le petit Fernand Gignac (14 ans) remporte le premier prix avec son interprétation de Maître Pierre (dont le jury était Jacques Normand, Jean Rafa, Pierre Roche et Charles Aznavour). Il ne participe toutefois qu’à la première représentation en soirée et accompagné d’un parent, la loi ne permettant pas à un mineur d’entrer dans un cabaret après dix heures du soir.5

Fernand Gignac (14 ans) remporte le premier prix avec son interprétation de Maître Pierre

Le Faisan Doré fut un creuset remarquable d’où germa toute une génération d’artistes qui marquèrent les années 1960 et 1970.3

Enchantée de la croissante popularité du Faisan Doré, la direction accorde son entière confiance à Jacques Normand qui a su en faire la boîte à chansons dont il rêvait.5

Un soir, au Faisan Doré, après le spectacle, le producteur français Jacques Canetti attend impatiemment Jean Rafa et Jacques Normand sur le trottoir.  « Je suis venu chercher des jeunes talents. Vous avez des noms à me suggérer? » Félix Leclerc, lance Jacques. Il est trois heures du matin et le producteur doit reprendre l’avion pour la France dans moins de dix heures. En pleine nuit, il réussit à rejoindre un réalisateur de CKVL qui a la gentillesse de mettre tout le monde en contact et d’organiser la rencontre souhaitée. À la suite de cette rencontre, Félix Leclerc sera invité à se produire partout en France et ce sera la consécration.5

Au Faisan Doré, le climat est excellent. Jacques remplit les lieux beau temps, mauvais temps. Mais il commence à se lasser des frères Martin. « Ce sont des bons gars, avec des bonnes bouilles. Mais ils ne connaissent pas le métier. » Alors il se met à lorgner du côté du Café Continental, dont le patron, Jack Horn, vient de lui faire une proposition alléchante. De plus, M. Horn connaît bien le milieu du cabaret et possède même des restaurants. C’est un homme riche qui aime beaucoup Jacques parce qu’il remplit le Faisan Doré.5

Quand Jacques Normand démissionne du Faisan Doré, la boîte ne s’en remet pas. Parce qu’ils sont convaincus que le succès du cabaret repose sur les épaules de Jacques, les frères Martin préfèrent fermer la boîte plutôt que de chercher un nouvel animateur. De toute façon, les boîtes ouvrent et ferment à un rythme affolant à Montréal. Il suffit que le public n’apprécie pas un spectacle durant deux semaines consécutives pour le voir déserter les lieux. Que se passe-t-il dans le cas du Faisan Doré? On tire le rideau, on met la clé dans la porte et on dit adieu la compagnie.5

Un nouveau cabaret occupera les lieux en 1951, le prestigieux Café Montmartre.8

On mentionne le Faisan Doré: 4:03
Adultes avec réserve… (1962) – ONF
Ville cosmopolite comme toute ville portuaire, Montréal a aussi sa main street : le boulevard Saint-Laurent, grande artère qui descend jusqu’au centre du port et accueille la population nomade du monde. Il est devenu le repaire des hommes de main et des déclassés de toutes sortes qui ont choisi la hiérarchie exigeante du vice. Réalisé par Jack Zolov – 1962 | 27 min
Sources
[1] Les nuits de la Main, André-G. Bourassa & Jean-Marc Larrue, 1993
[2] The Frolics started Main’s golden era, The Gazette, 26 janvier 1963, p.119 à 124
[3] La Main: un berceau artistique, La Presse, 26 septembre 2008
[4] Dominique Michel, Y a des moments si merveilleux, p.61
[5] Jacques Normand, L’enfant terrible, Robert Gauthier
[6] Jacques Normand: Où est passé l’esprit, La Presse, 8 novembre 1997
[7] Il voulait être le Napoléon du Music-Hall, Le Petit Journal, 11 novembre 1971
[8] Cafe Montmartre opening January 24th, The Gazette, 22 janvier 1951
[9] Au cabaret Val d’Or, Le Petit Journal, 18 novembre 1945
Nous avons bricolé ce texte en utilisant les sources mentionnées ci-dessus. Les temps de conjugaison ont parfois été modifiés pour créer une cohérence du texte dans son ensemble. Cet exercice n’a aucun but lucratif.