MONUMENT -NATIONAL
Érigé entre 1891 et 1893, le Monument-National est le plus ancien théâtre québécois et la plus ancienne salle de spectacle au Canada encore en fonction aujourd’hui.
Véritable symbole de la fierté francophone, l’histoire du Monument-National est longue, riche, et malheureusement inconnue de bon nombre de Québécois.1,2,3
Ce texte est assemblé à partir d’archives de journaux et de la section histoire du site web de l’École nationale de théâtre du Canada
Les canadiens français manquaient d’un vaste lieu de rassemblement populaire où pouvaient se regrouper toutes les petites sociétés artistiques, culturelles ou scientifiques, les associations sociales ou communautaires qui participaient tant bien que mal à l’animation de la vie collective. Le Monument-National devait combler cette lacune. Il serait le grand foyer de tous les Canadiens d’expression française au Québec, au Canada et aux États-Unis.4
C’est au Monument-National qu’Henri Bourassa et Wilfrid Laurier prononcèrent leurs plus importants discours.3
Le Monument-National est non seulement l’un des plus grands bâtiments montréalais de l’époque, c’est aussi le premier dont la structure est en acier. Il se distingue des autres grands édifices de l’époque, tous de style victorien, par sa façade néo-renaissante. Le Monument-National faisait partie d’un vaste projet, inachevé, de «boulevard National», véritable Champs-Élysées montréalais, qui devait relier la rue Saint-Denis au boulevard Saint-Laurent avec, aux deux extrémités, le Monument-National et l’Opéra-National, qui n’a jamais vu le jour.1
La première production théâtrale présentée au Monument fut « The Culprit Fay » (La Fête des Papillons) présentée par une troupe de théâtre pour enfants anglophone en 1894.5,6
Dès 1896, les grandes étoiles anglophones du théâtre nord-américain s’y produisent, de même que les personnalités marquantes de la scène lyrique et de la scène musicale d’envergure internationale.1
La légendaire Emma Albani casse la baraque lorsqu’elle chante au Monument-National par une froide nuit de février 1896.7 C’était une grande fête canadienne-française qui réunissait l’élite pour applaudir une des gloires nationales, la première cantatrice québécoise et canadienne à devenir une célébrité internationale, dans une salle érigée spécialement pour de telles fins. Tout l’auditoire prouva son admiration par des applaudissements frénétiques et par de nombreux envois de fleurs.8 C’est plus qu’un succès qu’elle a obtenu, c’est un triomphe. À la fin de la représentation, les étudiants des universités Laval et McGill sont allés attendre Madame Albani à la sortie de la salle et dès qu’elle fut montée en voiture, ils ont dételé ses chevaux et l’ont escorté triomphalement avec de portes-flambeaux jusqu’à la gare Windsor.9
Dès la fin du 19e siècle, le Monument-National, qui se trouve au coeur de ce qui était en train de devenir la ville juive, s’impose comme un formidable lieu de création, d’échange et de diffusion. C’est ce qui en fait l’un des premiers et des plus importants foyers communautaires et culturels d’Amérique. En plus de sa vaste salle du premier étage où se produisent les grandes vedettes de la fin du 19e siècle, le Monument-National abrite, à son rez-de-chaussée, le Starland, une salle dédiée au théâtre burlesque, et, au sous-sol, un musée de cire, l’Éden.1
Le Monument-National est le premier centre culturel multiethnique en Amérique du Nord. C’est ce qui fait son originalité.5
La première pièce yiddish du Québec arrive en février 1897. Entre les deux guerres mondiales, le Monument-National devient l’une des principales salles de théâtre yiddish en Amérique du Nord. L’immeuble fut d’ailleurs pendant des décennies le plus important centre de théâtre Yiddish à l’extérieur de New York.5,10 En 1919, le Monument-National a accueilli le Premier Congrès juif canadien.1
Des organisations irlandaises, comme la Société St-Patrick, ont parrainé dès le début des événements culturels au Monument-National. Selon l’auteur Jean-Marc Larrue, les fantômes du bâtiment sont à 50% français, 30% yiddish et 20% anglais, dont la plupart sont irlandais.5
Des spectacles d’opéra chinois prenaient également souvent l’affiche.11
C’est au Monument-National qu’est né le féminisme québécois francophone à la fin du 19e siècle. Regroupées au sein d’un comité appelé «Dames patronnesses de l’Association Saint-Jean-Baptiste» autour de Marie Gérin-Lajoie, les Montréalaises francophones les plus en vue de l’époque entreprennent une vigoureuse et vaste campagne qui vise la promotion des Canadiennes françaises dans tous les secteurs de la vie sociale, culturelle, économique et politique du pays. C’est également au Monument-National que commence le long combat pour l’obtention du droit de vote des femmes.1
Le Monument-National a également joué un rôle fondamental dans le développement du théâtre francophone au Québec. Mais le Monument-National a aussi été un formidable centre d’innovation et d’expérimentation artistique. Dès le début des années vingt, la modernité théâtrale faisait son entrée à Montréal par la grande salle du Monument.1
En 1928, Mary Travers (La Bolduc), chante en public lors d’une soirée de variétés au Monument-National. Elle participe alors aux représentations des Veillées du bon vieux temps, instituées par Conrad Gauthier, où elle fait connaître ses chansons qui deviennent rapidement des succès populaires. C’est d’ailleurs au cours d’une de ces soirées qu’elle interpréta pour la première fois « Y’a longtemps que je couche par terre ».12
L’année 1938 marque le début des Fridolinades, première d’une série de neuf revues annuelles de Gratien Gélinas.7
En 1946, Alys Robi, que l’on connaît bien, est la principale vedette de la revue « Ça Atomiqu’t’y? » d’Henry Deyglun au Monument-National.13
C’est au Monument-National que le burlesque québécois connaît la gloire, grâce notamment à Olivier Guimond père (Ti-Zoune) et à sa troupe qui reçoivent des invités de renoms dont Rose Ouellette (la Poune).14
Le Monument-National fut utilisé par « L’Équipe » de Pierre Dagenais à ses débuts, en 1942-43. L’Équipe se forme autour d’un petit noyau de jeunes comédiens dont Janine Sutto, Nini Durand, Yvette Brind’Amour, Robert Gadouas et Jean-Pierre Masson.15
La Troupe du Rideau-Vert, fondée en 1948, y donne des représentations. Le TNM, créé en 1951 et le Théâtre Club, de Monique Lepage et Jacques Létourneau, né en décembre 1953, se partagèrent ces locaux durant deux saisons.15
Les Variétés Lyriques, instituées par Lionel Daunais et Charles Goulet, occupèrent également le Monument-National jusqu’au début des années 1950. Cette compagnie privée, vouée principalement à la production d’opérettes, vient remplir l’espace vacant laissé par la dissolution de la Société Canadienne d’Opérette.15
Charles Goulet et Lionel Daunais ont aidé plusieurs artistes à gagner leur vie et d’autres à arrondir leurs fins de mois. Beaucoup de jeunes artistes ont fait leurs débuts sur la scène du Monument-National grâce aux Variétés Lyriques. C’était leur école et plusieurs d’entre eux ont plus tard brillé sur les scènes internationales.16
Wilfrid Pelletier disait de Charles Goulet: « Il était un homme remarquable, un artiste compétent sur qui on pouvait toujours compter. Je garde de lui un souvenir ému et j’espère que son nom passera à la postérité. » Un autre témoignage par l’Honorable Hector Perrier: « Le souvenir de Charles Goulet est impérissable et doit demeurer inscrit dans l’histoire de notre vie artistique. »16
Le Conservatoire d’art dramatique et l’École nationale de théâtre firent également du Monument-National leur centre d’activité dans les années 1950 et l’École nationale de théâtre l’utilisa comme atelier de création jusqu’en 1971.15
Pendant près de soixante ans, le Monument-National a été un important centre de formation populaire. Inaugurés dès 1895, les «cours publics du Monument» ont formé des dizaines de milliers de personnes au génie, au droit, à la comptabilité, à l’hygiène, à la physique, aux arts, à l’histoire, à la littérature. C’est au Monument-National que se trouvent les racines de l’École polytechnique, de l’École des Hautes Études Commerciales, de l’École des beaux-arts et du Conservatoire d’art dramatique.1
Face à une salle presque vide, le chanteur de blues et de folk américain Lead Belly s’est révélé un artiste remarquable au Monument-National en 1947. Il a suggéré que le public dispersé dans les galeries et au fond de la salle se déplace vers les premières rangées. Après avoir établi une atmosphère cordiale, il a offert deux heures complètes de chant dynamique en s’accompagnant sur une guitare à douze cordes. Son enthousiasme donnait l’impression qu’il aimait vraiment jouer, même devant un public malheureusement restreint.17
Charles Trenet, le « fou chantant », a fait son entrée bien calmement, bien sagement sur la scène du Monument-National, le 30 juillet 1946 et, s’il y avait des fous quelque part, c’était plutôt chez les spectateurs qui furent pris d’une folie collective: le public a été fou de joie et fou de Trenet.18 Pendant deux heures, une salle remplie et vibrante a respiré l’air léger de Paris.19 Trenet mérite bien son nom de fou chantant, car il excelle à évoquer des situations loufoques et des scènes cocasses.20 Toutes ses chansons ont été applaudies, même celles qu’il chantait pour la première fois à Montréal. En fait, aucun chansonnier n’avait encore été applaudi avec autant d’enthousiasme et de constance à Montréal que Charles Trenet au Monument-National en 1946.18
Edith Piaf chante pour la première fois au Canada, au Monument-National, en septembre 1948.5,7 Elle remporte un triomphe non équivoque. Edith Piaf chante seule devant le grand rideau bleu revêtue d’une robe très simple. Avec un minimum de gestes elle traduit toutes les impressions, rend les nuances les plus subtiles et atteint à la grandeur par plusieurs endroits, malgré sa taille menue. Jamais elle ne s’agite, ne semble faire effort. Elle a le don des grands interprètes. Son art est déjà parfait.21 Edith Piaf a littéralement pris d’assaut le cœur et l’âme des montréalais.22
Après la Deuxième Guerre mondiale, commence pour le Monument-National une longue phase de déclin. Le boulevard Saint-Laurent – ou « la Main » – a mauvaise presse. La prostitution, les maisons de jeu, les trafics de toutes sortes rebutent les habitués du Monument qui lui préfèrent désormais les grandes salles de la rue Sainte-Catherine, plus sûres, plus confortables et plus modernes. L’époque est également difficile pour la Société Saint-Jean-Baptiste qui quitte le lieu en 1976. Voué à une démolition qui semble inéluctable, le Monument-National sombre dans l’oubli.1
Après avoir miraculeusement échappé à quelques reprises au pic des démolisseurs, le Monument-National est déclaré «bien culturel classé» en 1976. Le bâtiment est finalement restauré de 1991 à 1993 grâce à l’action de son nouveau propriétaire, l’École nationale de théâtre du Canada. Cent ans jour pour jour après son inauguration, le Monument-National connaît ainsi une formidable renaissance le 24 juin 1993. C’est le plus ancien théâtre au Québec encore en activité et ses scènes, auxquelles s’est ajouté le cabaret-théâtre «la Balustrade» en 1999, sont à nouveau parmi les plus prestigieuses et les plus dynamiques du pays.1
Au sous-sol du Monument-National, on trouve aujourd’hui le Studio Hydro-Québec, une salle intime qui peut accueillir jusqu’à 150 personnes. Aucune trace de l’Éden, un musée de cire et cinéma qui a occupé les lieux et dont on a fait état dans la série télévisée Musée Éden. On y présentait des scènes de crime célèbres et des vignettes historiques. Le Monument-National compte un atelier de costumes et un atelier de décors où une poignée d’employés supervisent le travail des étudiants du volet production de l’École nationale de théâtre. C’est dans l’atelier de décors que se trouvait autrefois la scène du théâtre burlesque Starland, un théâtre où s’est produit Olivier Guimond fils alors que son père était sur scène de l’autre côté de la rue.23
Depuis le mois de février 2016, le Monument-National accueille les bureaux de LA SERRE – arts vivants.1