Dans le domaine du cabaret, Montréal, au cours de l’année 1953, continue d’être considéré comme l’une des villes les plus importantes en Amérique. New York et Las Vegas viennent en première et deuxième place; Montréal se classe troisième.
DOWNBEAT
En 1951, le club Down Beat aménage une salle attenante appelée le Tropical Room qui devient le premier établissement exclusivement homosexuel à Montréal. En 1969, le Tropical Room devient le PJ's, le premier club travesti de Montréal.
Ce texte est assemblé à partir d’archives de journaux
Le cabaret Down Beat, autrefois le Club Belmar, était situé au 1422-24 rue Peel à Montréal, en face de l’Hôtel Mont-Royal.1
Le Down Beat a ouvert ses portes le 19 décembre 19512. C’est au chanteur et comédien Leon Fields que revient l’honneur d’avoir été la première vedette du nouvel établissement. La chanteuse et pianiste Paula Watson faisait également partie de la distribution du spectacle.3
Une deuxième soirée d’ouverture officielle a eu lieu après le temps des fêtes, le 9 janvier 1952, mettant en vedette le comédien Lou Seiler. L’administration avait acquis les services de deux des meilleurs groupes musicaux de Montréal pour fournir le divertissement: le Nick Martin’s Orchestra et le Bob Hahn Quartet.4,5,6
On allait au Down Beat pour manger, danser et assister à d’excellents spectacles de musique ou d’humour. Un bar central somptueux permettait aux clients de s’asseoir tout en ayant une belle vue d’ensemble du spectacle.6
Les propriétaires du Down Beat en 1952 étaient Raymond Lafontaine, Alcide Léber et Gary Ball.7 Gary Ball allait devenir l’un des plus gros « bookies » de Montréal.8 Un « bookie » ou un « bookmaker » était une personne permettant de parier de l’argent sur des évènements, le plus souvent sportifs, le tout pratiqué de manière illégale et dégageant d’immense profits pour la pègre.
Mais le réel propriétaire du Down Beat était Solomon Schnapp, aussi connu sous le nom de Solly Silver, un membre notoire du crime organisé. Il était le bras droit de Irving Ellis. On décrivait Ellis comme étant le « Mayer Lansky » du Québec, le comptable de la pègre. Silver était aussi l’homme qui a littéralement sauvé le député du Parti Libéral du Québec Yvon Dupuis de la prison et de la déchéance lors de son fameux procès en 1968, accusé d’avoir eu une influence dans une affaire de piste de courses.9,10,11,12
En réalité, le club de nuit contrôlé par la pègre était le lieu par excellence où le crime organisé pouvait camoufler ses nombreuses activités illégales. Il ne servait ni plus ni moins que de paravent (‘’front’’). En règle générale, le permis d’exploitation du club de nuit était émis au nom d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire et qui agissait comme prête-nom. Ce dernier n’avait jamais de dossier judiciaire et pouvait donc obtenir un permis de vente d’alcool. L’identité des véritables propriétaires était très difficile à retracer, leurs noms n’apparaissaient jamais officiellement dans les livres de comptabilité de l’établissement. Celui qui servait de prête-nom était généralement le gérant de l’établissement. Il voyait à l’embauche des garçons de table, des employés de la cuisine, du préposé au vestiaire et du portier.13
En 1950, Maurice Duplessis, alors Premier Ministre, souligne que, contrairement à New York, Montréal n’a pas de « clubs de fifis ». Pourtant, dès 1952, l’administration du Down Beat aménage une nouvelle salle attenante qu’ils nomment le « Tropical Room ». Le Tropical Room devient le premier établissement exclusivement homosexuel à Montréal.14,15
Tropical Room, La Patrie, 16 mai 1963, BAnQ
Dans le domaine du cabaret, Montréal, au cours de l’année 1953, continue d’être considéré comme l’une des villes les plus importantes en Amérique. New York et Las Vegas viennent en première et deuxième place; Montréal se classe troisième.16
De nombreuses vedettes ont été applaudies dans les cabarets de Montréal au cours de l’année 1953. C’est Chez Parée qui a battu la marche. La direction de ce cabaret a présenté Frank Sinatra, Lena Horne et Peggy Lee, toutes des vedettes qui touchaient plus de $5,000 de cachet par semaine. Parmi les nouvelles boîtes qui sont entrées dans la faveur du public en 1953, signalons le Down Beat. Le Down Beat fait salle comble presque tous les soirs et le samedi on y fait la queue pour obtenir une table.16
En 1954, le cabaret Chez Parée devient la propriété de Solly Silver, aussi propriétaire du Down Beat.17,18,19
En 1956, le Down Beat figure parmi l’un des 57 cafés et boîtes de nuit placés sur la liste noire de l’assistant-directeur de la police Pacifique Plante, célèbre pour ses actions contre le crime organisé.20
En 1957-58, Armand Larrivée devient l’animateur du lounge Tropical Room du Down Beat. Armand est alors déjà connu sous le nom de « La Monroe », en l’honneur de l’admiration qu’il porte à la célèbre Marilyn. À une époque où l’homosexualité est encore considérée comme un crime, le jeune homme révolutionne l’univers des bars gais, peu nombreux et illicites, en offrant à la clientèle homosexuelle des spectacles conçus pour elle, à la différence de Guilda ou encore de Lana St-Cyr (en référence à Lili St-Cyr), dont les spectacles sont destinés à une clientèle hétérosexuelle. Le 27 août 1959, après avoir fait pression auprès de Solly Silver, Armand Larrivée, le jour de son 24e anniversaire, obtient finalement la permission que les hommes puissent danser ensemble, une première à Montréal.21,22
Armand Larrivée, anniversaire 1958 au Down Beat
Au début des années 1960, les cabarets de Montréal connaissent des difficultés financières. C’est la désolation. Montréal devient une métropole de l’ennui. Les deux formules qui paraissent les plus particulièrement en vogue en 1962 sont le travesti et les danses orientales exotiques.23
En 1963, l’escouade de la moralité de la Police de Montréal fait une descente au Tropical Room. Le fourgon de la police a conduit 16 hommes et jeunes gens du ‘’troisième sexe’’ vers les cellules du quartier général pour comparaître devant un juge. L’accusation mentionnait: ‘’Avoir commis en public des actes indécents’’. Les accusés ont été condamnés à verser des amendes de $50. Cette descente policière avait donné un dur coup aux rassemblements d’homosexuels au Tropical Room. Quelques soirs plus tard, la plupart des fauteuils, autour des tables de la longue et sombre salle du Tropical Room, et la plupart des sièges, autour du grand bar-comptoir, demeuraient inoccupés. La piste de danse était aussi déserte que la salle attenante, le Down Beat.24
La Patrie, 16 mai 1963
Le 25 octobre 1965, un incendie d’origine criminelle survient vers 5h du matin. Avant même l’arrivée des premiers pompiers, ce sont des policiers qui passaient par là qui ont découvert l’incendie et qui ont défoncé la porte avant. Ils ont trouvé partout dans l’escalier qui conduit au cabaret des torchons imbibés d’essence. Le Tropical Room, situé à l’étage, était en flammes aux quatre coins de l’établissement.25 Les suspects appartenaient à la pègre. On parle d’un acte de vengenace contre le propriétaire Solly Silver dont la prospérité portait ombrage à certains rivaux d’affaires.26
La Presse, 25 octobre 1965
En 1968, Solly Silver vend l’immeuble du Down Beat et du Tropical Room.27,28
Le 30 janvier 1969, le Down Beat devient le cabaret PJ’s, le plus récent club de musique country et western de Montréal. Dougie Trineer, un auteur-compositeur et producteur prolifique québécois, devient l’artiste vedette de l’établissement.29
En 1971, la police de Montréal procède à la fermeture du soi-disant repère d’homosexuels, le PJ’s, autrefois connu sous le nom de Down Beat et Tropical Room. La nouvelle propriétaire, Bernice Bordesky, aurait enfreint trop de lois de la Régie des alcools. Le sergent-détective de la police affirme que ce raid visait à sortir la pègre des cabarets de la ville.30 Le PJ’s demeure fermé pendant 15 mois.31
En 1972, le PJ’s renaît sous le nom de « PJ’s Tropical Room » et est opéré par Al Simpkin.31,32 Armand Larrivée, alias « La Monroe », est l’animateur vedette. Le cabaret s’affiche comme étant le premier club travesti de Montréal.33
PJ’s Tropical Room, courtoisie des archives d’Armand Larrivée
La salle tropicale, située à l’étage et connue sous le nom de PJ’s, possède un grand escalier menant à un pays imaginaire, un centre surréaliste où les drag queens font leur numéro à la fois sur scène et en dehors. Les stars du spectacle se changent derrière les rideaux pendant que les clients dansent sur de la musique disco entre les spectacles. « Cet endroit est plus facile à gérer qu’un bar ‘’straight’’ traditionnel, déclare le propriétaire Al Simpkin. Il n’y a pas de batailles et aucun ‘’Bouncer’’ n’est nécessaire. »34
PJs Tropical Room, rue Peel
La foule du PJ’s était un mélange d’hétéros et de gais, de francophones et d’anglophones. Le cabaret proposait un spectacle gratuit de qualité variable allant de l’excellent à l’absurde. Un artiste, Caleb Stonn, avait créé un portrait troublant et obsédant de Judy Garland. « Au PJ’s, vous jouiez devant du monde en jeans et t-shirt, mais vous étiez sûr d’avoir une réponse. Négative ou favorable » expliquait Armand Larrivée. « Le monde en cravates noires, eux, avaient souvent tendance à étouffer leurs réactions. Le Drag est devenu un gros marché. Le Drag a enfin pris sa place. »32
En 1989, le PJ’s ferme ses portes. L’immeuble, situé en face des Cours Mont-Royal de la rue Peel, est rénové et devient un restaurant Carlos and Pepe’s jusqu’à sa fermeture définitive en 2022.35