THÉÂTRE GAYETY
Le Théâtre Gayety, inauguré le 26 août 1912 au 86 rue Sainte‑Catherine Ouest à Montréal, devint rapidement un lieu phare du vaudeville et du burlesque grâce à son architecture signée Ross & MacFarlane et à une programmation audacieuse mêlant burlesque, comédies musicales et artistes de jazz. Au fil des décennies, il changea plusieurs fois de nom et de main — développé par la Columbia Amusement Company en 1924, exploité par Tom Conway, puis rebaptisé Théâtre des Arts, Mayfair, Radio‑Cité et Comédie‑Canadienne — adaptant sa vocation au goût du jour (cinéma, musique, strip‑tease) tout en subissant rénovations et polémiques morales. Acquis en 1972 par le Théâtre du Nouveau‑Monde, modernisé par Dan S. Hanganu en 1997, il demeure aujourd’hui l’un des principaux établissements de la scène théâtrale francophone montréalaise.
“J’ai visité le théâtre Gayety hier après‑midi et hier soir, et je peux affirmer que le Gayety a fermé ses portes au public.”
Capitaine TremblayStation no.4 de la police de Montréal

The Gazette, 24 août 1912, division Postmedia Network Inc.
Le théâtre Gayety (1912-1953) est une salle de spectacle qui était située au 86 rue Sainte-Catherine Ouest à Montréal. Elle possède une longue et riche histoire qui marqua les arts de la scène montréalaise.
C’est la compagnie Canadian Amusement qui retient les services des architectes Ross & MacFarlane pour la réalisation des plans de ce nouveau théâtre de 1650 places au début du 20e siècle. Érigé à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Urbain, le théâtre Gayety contribue à animer les nuits de Montréal.
Il ouvre officiellement ses portes le 26 août 1912 avec un spectacle de « The Bowery Burlesquers », une troupe populaire du circuit burlesque américain. 1 Les billets s’envolent rapidement. 2 Deux représentations sont offertes, l’une en après-midi et l’autre en soirée et des centaines de personnes se voient refuser l’accès. La représentation en soirée trouve dans son assistance la plupart des gens connus de la ville qui sont venus voir le théâtre plutôt que le spectacle. 3 L’inauguration est un grand succès et le Gayety devient un chic théâtre où l’on s’amuse, où l’on rit, où l’on passe réellement un bon après-midi ou une agréable soirée. Il ne pourrait d’ailleurs être mieux nommé : tout y est gai. La salle est des plus coquettes et les fauteuils on ne peut plus confortables. Il y a de l’air, de l’espace, tout y est propre. 4 La Gayety justifie amplement l’attente du public et jouit d’une réputation enviable. 5 Il répond alors à un réel besoin des amateurs de théâtre montréalais en leur offrant un magnifique endroit où ils peuvent assister à de jolies représentations à des prix populaires. 6
À ses débuts, on note toutefois que certains clients ont la fâcheuse habitude de gâcher un bon spectacle, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour ceux qui étaient assis à côté d’eux en violant les règles d’étiquette du théâtre. Des conversations incessantes, des fredonnements et même des sifflements semblent alors être la règle d’individus dont l’égoïsme devait être replacé. 7

The Gazette, 9 août 1913, division Postmedia Network Inc.
Le Gayety subit des rénovations et rouvre pour sa deuxième saison le 11 août 1913. 8 Fred Crow, le gérant de ce populaire théâtre, remarque que les dames se font rares aux représentations, ce pourquoi il commence ses séries de matinées à prix réduits. En plus, il fait des choix de pièces qui ne font jamais atteinte à la morale et qui peuvent être entendues par un large public. 9 Le théâtre connaît à cette époque une de ses périodes les plus fastes.
En 1924, une entreprise new-yorkaise, la Columbia Amusement Company, achète le Gayety et demande à Emmanuel Briffa, alors célèbre décorateur, d’en faire un des théâtres les plus luxueux d’Amérique. La transformation est remarquable. Les couleurs, ivoire, or, vieux rose, doré et autres nuances brillantes, s’harmonisent agréablement et les arrangements d’éclairage illuminent tout le bâtiment d’un éclat qui ne fatigue pas les yeux. La direction estime que le Gayety se classe désormais parmi les meilleurs théâtres de Montréal. Les décorateurs travaillent fort tout l’été et le Gayety rouvre fièrement le 17 août 1924. 10 11
En 1925, le Gayety présente régulièrement des artistes noirs et des ‘’orchestres de jazz de couleur’’. La musique noire avait fait son chemin dans les salles de la ville, les boîtes de nuit, les théâtres de vaudeville et on l’entendait même sur les bateaux de croisière et les traversiers qui voguaient sur le fleuve Saint-Laurent. Au cours de l’hiver 1925-1926, son programme affiche les Seven Syncopators et le clarinettiste George McClennon, ainsi qu’une revue musicale comptant dans ses rangs 70 artistes, dont la moitié sont des artistes noirs (la chanteuse de blues Lena Wilson et le chef d’orchestre Joe Jordan étaient du nombre). 12

The Gazette, 26 décembre 1925, division Postmedia Network Inc.
Le 14 décembre 1929, la direction annonce une nouvelle politique : la fin des spectacles burlesques. 13 Le directeur-général, Albert Gauthier, est reconnu coupable d’avoir permis des représentations jugées immorales à trois reprises. Il est condamné à un total de 150$ d’amende. 14 La direction annonce que le Gayety ne présentera que des comédies musicales. 15 Il reste fermé deux semaines, pendant lesquelles il est à nouveau rénové. 16
Le 30 janvier 1930, Tom Conway, ancien trésorier du Gayety, en devient le propriétaire. Le Gayety reprend son souffle et rouvre le 9 février 1930 sous sa formule d’origine, présentant des spectacles burlesques qui ont fait sa renommée. 17 Mais le 5 novembre 1930, huit mois plus tard, le Gayety reçoit l’ordre de fermer ses portes suite à un rapport du directeur de police dans lequel on peut lire que, selon les informations du censeur de théâtre, JP Fillion, le Gayety s’obstine à montrer des productions immorales. 18 Pourtant, le censeur de théâtre de la ville de Montréal avait déclaré, un mois plus tôt, qu’il avait joui en tout temps de l’entière collaboration de Tom Conway, propriétaire du Gayety, et que ce dernier n’avait jamais manqué de retirer de son programme les éléments que le censeur jugeait bon de supprimer. C’est un membre du comité municipal qui s’est plaint d’un certain acte lors d’une visite au Gayety. Tommy Conway a tenu à souligner que le spectacle en question ne contenait rien qui n’avait pas été préalablement approuvé par le censeur. 19 La licence du théâtre est néanmoins révoquée et le théâtre n’est pas autorisé à rouvrir. 20 L’endroit, toutefois, continue à être utilisé pour présenter des matchs de boxe pour le reste de la saison à l’hiver 1930-1931. 21
En 1931, le Gayety devient le Théâtre des Arts et rejoint les rangs du divertissement local lorsqu’il présente le spectacle musical coloré d’Irving C. Miller ‘’Runnin’ Wild’’ avec Miller & Lyles, comédiens bien connus, lors de sa représentation d’ouverture du 3 mai. 22

The Gazette, 1 mai 1931, division Postmedia Network Inc.
Le Théâtre des Arts rouvre à nouveau, le 3 novembre 1932, sous le nouveau nom de Théâtre Mayfair lorsqu’une politique de cinéma est inaugurée. Le Mayfair est géré par Joe Lightstone. Le programme d’ouverture est à double longs-métrages mettant en vedette Greta Garbo dans le film ‘’Mata Hair’’ et Stan Laurel et Oliver Hardy dans le film ‘’Pardon Us’’. 23

The Montreal Star, 3 novembre 1932
Le Gayety reprend son nom d’origine le 27 avril 1942 et renoue avec le burlesque en présentant des spectacles d’effeuilleuses, notamment ceux de la plus populaire de l’époque, l’Américaine Lili St-Cyr. Il est relancé avec une présentation de la troupe ‘’New York Follies’’ qui comprend sept actes de vaudeville. 24 Il est entièrement rénové et re-décoré pour sa nouvelle saison du 23 août 1943. Aucune dépense n’est épargnée pour trouver les meilleurs talents disponibles, tout spécialement dans le monde de la chanson, de la danse, de la musique et de la comédie. Des artistes de haut niveau, que ce soit de la scène, de l’écran ou de la radio sont présentés en tête d’affiche. Le Gayety devient le seul théâtre 100% vaudeville de Montréal. 25 De grandes strip-teaseuses américaines, comme Peaches et Lili St-Cyr, s’y dévêtent si bien que l’escouade de la moralité de la police de Montréal referme l’endroit en 1953.

The Gazette, 25 avril 1942, Postmedia Network Inc.
Le Gayety est ensuite vendu à Louis Oscar Gagnon et Émile Guay le 11 mars 1953 pour la somme de 300,000$. 26 Le New Gayety, sous nouvelle administration, est rouvert le 27 avril 1953 avec le spectacle de la strip-teaseuse Gypsy Rose Lee devant une salle comble. 27

Lili St-Cyr, Centre d’histoire de Montréal, # 1454
Jean Grimaldi, la même année, en reprend l’exploitation : tout en en conservant la vocation originelle, il le rebaptise Théâtre Radio‑Cité. Après les démêlés judiciaires de l’effeuilleuse Lili St‑Cyr en 1953, le Théâtre Gayety avait perdu sa vedette et vu son public se tarir. Michael Costom — citoyen d’ascendance juive, propriétaire du Théâtre Canadien depuis 1949 et exploitant du Milk Bar au National depuis le 12 avril 1948 — suggère alors à Grimaldi de s’associer pour racheter la salle. Ensemble, ils la rénovent et inaugurent, le 19 septembre 1953, le nouveau Théâtre Radio‑Cité. 28,32,33


Le Canada, lundi 21 septembre 1953, BAnQ
« Mon père, raconte Francine Grimaldi, fut le premier à ouvrir un théâtre francophone à l’ouest du boulevard Saint‑Laurent, alors que tout le secteur était entièrement anglophone. Lorsqu’il envisagea de racheter le Gayety — célèbre salle de burlesque où se produisaient Peaches et Lili St‑Cyr — on l’a aussitôt découragé : « Tu vas te casser la figure : il n’y a pas de public francophone par ici, ça n’a aucune chance ! » Pourtant, il persévéra et transforma la vieille salle en Théâtre Radio‑Cité, calqué sur le modèle du Radio City de New York. À l’inauguration, une ligne de danseuses accueillit le public, avant de laisser place à un programme varié : grandes productions musicales, sketches comiques, numéros de variétés et super vedettes, puis comédies d’une heure ».31

La Presse, samedi 19 septembre 1953, BAnQ
En 1957, le théâtre est vendu à Gratien Gélinas qui entreprend de le rénover en profondeur et qui lui donne le nom de Comédie-Canadienne. 28


Radiomonde et Télémonde, 8 juin 1957, BAnQ
Aménagée dans l’ancien théâtre Radio-Cité, la Comédie-Canadienne visait à promouvoir les œuvres d’auteurs canadiens francophones et anglophones. Sa programmation éclectique comprenait théâtre, musique, jazz, chanson française et spectacles internationaux, attirant des artistes comme Jacques Brel, Léo Ferré et Miles Davis. À la suite des rénovations, l’inauguration officielle eut lieu le 22 février 1958.
Lire l’histoire de la Comédie-Canadienne ici.
Le 8 septembre 1972, l’immeuble de la Comédie-Canadienne est par la suite acquis par le Théâtre du Nouveau-Monde qui s’y installe en permanence et donne son nom à la vénérable salle de spectacle, devenue un des hauts lieux du théâtre à Montréal. Des travaux y ont été entrepris en 1997, sous la direction de l’architecte Dan S. Hanganu, pour moderniser la salle et l’adapter aux nouvelles exigences scéniques. 28 Il jouit d’un statut national le classant parmi les institutions culturelles de langue française les plus importantes en Amérique du Nord. La grande qualité artistique et l’envergure de ses productions ont fait du TNM un lieu de référence de la culture théâtrale au Québec. 29
Un incendie ravage la partie arrière du TNM où des travaux d’agrandissement étaient en cours le 18 août 2022. 30

Théâtre du Nouveau Monde, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal (autrefois le Gayety)
Photo: Jean Gagnon, 2012
Sources
[1] Gayety opens Monday matinee August 26, The Gazette, 24 août 1912
[2] Gaiety, The Montreal Star, 22 aout 1912
[3] Two performances at the Gayety yesterday, The Gazette, 27 août 1912
[4] Au Gayety, La Presse, 10 septembre 1912
[5] Au Gayety, Le Samedi, 14 septembre 1912
[6] Théâtre Gayety, Le Canada, 31 août 1912
[7] Burlesque at Gayety, The Gazette, 22 avril 1913
[8] Gayety opens August 11, The Gazette, 26 juillet 1913
[9] Gayety, La Presse, 9 janvier 1915 p.13
[10] Gayety redecorated, The Gazette, 26 juillet 1924
[11] Gayety, La Presse, 16 août 1924 p.28
[12] Une histoire du jazz à Montréal, John Gilmore, p.64
[13] Gayety closes, The Gazette, 14 décembre 1929
[14] Total de 150$ d’amende pour le Gayety, La Presse, 21 décembre 1929
[15] At Gayety theatre, The Gazette, 28 décembre 1929
[16] Gayety’s new policy, The Gazette, 21 décembre 1929
[17] New Gayety lessee, The Gazette, 30 janvier 1930
[18] Executive to close Gayety, Montreal Daily Star, 5 novembre 1930
[19] Theatre censor states method by which local theatre was condemned, Montreal Daily Star, 7 novembre 1930
[20] Gayety theatre closes it’s doors, Montreal Daily Star, 13 novembre 1930
[21] Card is announced for fights Monday, The Gazette, 28 novembre 1930
[22] Musical show at Theatre des Arts, The Gazette, 4 may 1931
[23] Gayety theatre now the Mayfair to open as movie house November 3, Montreal Daily Star, 29 octobre 1932
[24] The Gayety reopens, The Gazette, 18 avril 1942
[25] The Gayety to re-open, The Montreal Star, 14 août 1943
[26] Theatre sold for 300,000$, Montreal Star, 11 mars 1953
[27] Gayety is re-opened with Gypsy Rose Lee, The Gazette, 28 avril 1953
[28] Tiré de La rue Sainte-Catherine, Pointe-à-Callière et les Éditions de l’Homme
[29] Théâtre du Nouveau Monde, Wikipedia
[30] Un incendie a éclaté à l’arrière du TNM au centre-ville de Montréal, Radio-Canada, 18 août 2022
[31] Francine Grimaldi, Hier, aujourd’hui et demain, Yves Parent, YouTube
[32] L’Annuaire Théâtral, Les administrateurs du Théâtre National, Denis Carrier, automne 1988-printemps 1989
[33] Le Radio-City est l’ancien Théâtre Gayety, Le Canada, 21 septembre 1953, BAnQ
Aussi: https://tnm.qc.ca/tout-sur-le-tnm?page=le-lieu
Dernière mise à jour
| 18 avril 2025 |
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