LIDO
Le cabaret Lido (1934-1937) était situé au 1258 rue Stanley à Montréal. Il est né des cendres du Stanley Grill, incendié le 25 mars 1934 [1].
Les dommages causés par l’incendie du Stanley Grill étaient estimés à plus de 140,000$, une fortune à l’époque. Harry Feldman, président de Stanley Grill Inc, assume la reconstruction immédiate de l’immeuble [2]. Originaire de New York et membre de la pègre montréalaise juive, Harry Feldman mène pourtant une vie rangée, préférant se tenir loin du trafic de stupéfiants. Copropriétaire de plusieurs établissements montréalais de renom, Feldman est surtout considéré comme un homme de famille. Tout au long de sa vie, il parvient à passer sous le radar des autorités policières [3].
Lorsque l’immeuble de la rue Stanley est reconstruit, Harry Feldman ouvre le cabaret Lido en novembre 1934 [4]. Phil Maurice, aussi propriétaire du populaire cabaret Chez Maurice de la rue Sainte-Catherine, gère l’endroit et Roy Cooper, le doyen des imprésarios canadiens, organise les spectacles. Le Lido portait le nom du prestigieux cabaret Lido de Paris. Le club montréalais espérait partager l'éclat de celui de Paris [5]. Malgré le contexte de dépression de cette époque, le cabaret Lido vivait une période très faste. Devant sa porte, on pouvait alors admirer un long cortège de Cadillacs V16, de Pierce-Arrows, de Lincolns et autres voitures de luxe à 3,000 $ pendant que leurs riches propriétaires y faisaient joyeusement la fête. Le cabaret organisait des spectacles mettant en vedette des stars de la scène, du cinéma et de la radio [6]. Une grande caractéristique du Lido était l'installation d'un système de climatisation, le premier dans un cabaret au Canada en 1937 [7].
On rénove et rebaptise l’endroit le cabaret Tic Toc le 28 octobre 1937 [8],[9]. Le Tic Toc annonce fièrement dans les journaux: « un nouveau spectacle et un dîner pour 1$ » [10]. Tout comme le Lido, le Tic Toc accueille des stars de la scène, du cinéma et de la radio [11]. Il se veut plus accessible au grand public. En 1944, Dean Martin, le jeune crooner américain et rival de Frank Sinatra, fait ses débuts à Montréal au cabaret Tic Toc [12].
Un homme d’affaires prospère, Harry Ship, le rois des ‘’gamblers’’ montréalais, détient des parts dans le cabaret Tic Toc [13]. Cependant, le règne de Harry Ship ne dura pas longtemps. Un éminent avocat nommé Pax Plante déclare publiquement la guerre aux rackets de jeu de Montréal. Ship est arrêté en 1946 : il est reconnu coupable de trois chefs d'accusation d'exploitation de maisons de jeu illégales [14].
Sous une nouvelle administration en 1947, Jerry Taylor, une figure bien connue de la vie nocturne montréalaise, devient gérant du Tic Toc [15]. Le cabaret opère sous le nom de « Jerry Taylor’s Tic Toc » jusqu’en 1950. Homme fort sympathique, Jerry Taylor partait parfois à New York à la recherche de nouveaux talents à présenter dans le lounge de son cabaret [16]. Le 31 mai 1947 le Tic Toc introduit un nouveau concept en ajoutant à sa salle à manger le ‘’Glass Grill’’, conçu pour que les clients puissent voir leur repas cuisiné sous leurs yeux [17].
Désirant innover davantage, le Tic Toc ferme ses portes pour des rénovations le 1er juin 1950 de façon à pouvoir présenter des productions plus spectaculaires avec pour ambition de devenir le plus chic et somptueux cabaret d’Amérique du Nord [18]. Le Tic Toc rouvre le 14 novembre 1950 sous un nouveau nom: le cabaret Chez Parée [19].
Le soir de l’ouverture, Chez Parée promet de faire époque dans l’histoire de la vie nocturne montréalaise. La décoration de cette luxueuse boîte de nuit est originale, fraiche et les muraux sont des plus pittoresques. Ceux qui ont vu la salle considèrent que c’était l’une des plus jolies au Canada. Pour arriver à cela, la direction a dépensé plus de 100,000$. Jerry Taylor, devenu l’un des hôtes les plus populaires de Montréal, entend suivre une politique de splendeur et de luxe. Lors du spectacle d’ouverture, il a choisi à New York 12 jolies danseuses parmi 600 candidates à l’audition. C’est Boots McKenna, connu dans les cercles de théâtre et de cabarets new yorkais, qui a fait la coordination des numéros, élaborés pour plaire à un large public. Les vedettes comprenaient un célèbre pickpocket, un comique parisien, des danseurs, des acrobates et des chanteurs. L’orchestre qui comprend neuf musiciens était sous la direction de Nick Martin et Peter Barry [20].
On a pu voir en spectacle Chez Parée au fil des ans des artistes tels Frank Sinatra, Sammy Davis Jr., Vic Damone, Peggy Lee, Lena Horne, Woody Herman, Billy Eckstine, Lionel Hampton, Illinois Jacquet, Johnny Hodges, Carmen Miranda et plusieurs grands autres noms du monde du divertissement.
Lorsque Sinatra a joué Chez Parée, du 9 au 23 février 1953, sa carrière était sur la dérape. De plus, son mariage de 16 mois avec Ava Gardner était alors en péril; celle-ci venait de se faire avorter et se trouvait en Espagne pour faire un film. Jimmy Nichols, qui avait organisé le spectacle Chez Parée, avait eu l’occasion de passer du temps avec lui. Il témoigne : « La seule chose qu'il m’avait demandée, c'est que sa suite à l'hôtel Mont-Royal ait une vue sur la montagne. À l'époque, il s'adonnait à la peinture. Il voulait peindre la montagne » [21].
On a pu aussi voir Chez Parée le saxophoniste américain Charlie Parker. « Lorsque le pianiste Keith White et moi avions démarré le Montreal Jazz Workshop dans les années 1950, nous avions réussi à inviter Charlie Parker, nous organisions aussi des concerts Chez Parée » explique le pianiste montréalais Paul Bley [22].
Chez Parée était un club où il faisait bon souper et danser. Le menu comprenait du poisson grillé au charbon de bois, du steak, du poulet et des côtelettes, mais il proposait également une bonne sélection de spécialités de charcuteries juives et de sandwichs. Au fur et à mesure que les années 1950 progressaient, la police de la moralité continuait de réprimer les clubs, où la violence de la pègre s’était intensifiée. Par ailleurs, avec l’emprise croissante de la télévision commerciale et de la musique rock sur le divertissement, la fréquentation des clubs avait alors considérablement diminué. Le faste et le glamour qui avaient marqué les boîtes de nuit des années 1930 et 1940 avaient disparu.
Dans les années 1960, Chez Parée devient un strip-club. Une époque était bel et bien révolue.
Références
[1] A chorus line of 12 lovelies and Mumms selling at 12 bucks a bottle, The Montreal Star, 8 janvier 1977
[2] Two firemen fall as roof collapses in two-alarm fire, The Gazette, 26 mars 1934
[3] https://www.juifsdici.ca/gangsters-juifs/
[4] A chorus line of 12 lovelies and Mumms selling at 12 bucks a bottle, The Montreal Star, 8 janvier 1977
[5] Stepping Out The Golden Age of Montreal Night Clubs, Nancy Marrelli
[6] Springtime re-opens, Lido on Friday night; elaborate floor revue, The Montreal Star, 7 avril 1937
[7] Lido presenting Royal Frolic, The Montreal Star, 7 juin 1937
[8] Lido is closed for extensive alterations, The Montreal Star, 24 aout 1937
[9] Opening tonight Tic Toc, The Gazette, 28 octobre 1937
[10] A new show on Monday, The Gazette, 13 novembre 1937 (show 1$)
[11] The Peter Sisters, The Gazette, 11 août 1941
[12] Tic Toc Scoop opening Monday Dean Martin, The Gazette, 17 février 1944
[13] https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/harry-ship-un-roi-du-jeu-sans-crainte
[14] http://imjm.ca/location/2078
[15] Opening tonight Teddy Sherwood, Montreal Daily Star, 15 mars 1947
[16] Jerry Tic Toc Taylor scouting talent in Manhattan, The Gazette, 27 septembre 1947
[17] Réouverture du Tic Toc, ce soir, Le Canada, 31 mai 1947
[18] Dans la coulisse, Le Tic Toc a fermé ses portes hier soir, Le Canada, 2 juin 1950
[19] Opening tonight sensational show, The Gazette, 14 novembre 1950
[20] Le nouveau cabaret Chez Parée ouvrira ses portes demain soir, Le Canada, 13 novembre 1950
[21] Montreal memories of Ol’ Blue Eyes linger, The Gazette, 16 mai 1998
[22] 33 years ago, jazz history was being made in Montreal, The Gazette, 6 février 1986
Références compilées et mises en texte par Montreal Concert Poster Archive