Black Flag live sur Saint-Denis, les Cramps en 3D au Club Soda et Sun Ra à Concordia.
Depuis plus de trois ans, Jean-François Hayeur s’affaire sans relâche à collecter les artéfacts de spectacles présentés à Montréal. Flyers, billets, coupures de journaux, affiches.
Contributeur: Alain Provost
Sa récolte, estimée à 43,000 images numériques, documente deux siècles de shows dans la métropole. Cette banque aux proportions vertigineuses sert à nourrir son projet Montréal Concert Poster Archive, une grande murale tapissant l’internet de l’histoire musicale locale.
Saviez-vous que Ravel a déjà offert un récital dans le Quartier latin, qu’un show des Cro-Mags coûtait 4 dollars à la porte et qu’Art Blakey a drummé dans un steakhouse de la rue Peel?
Moi je l’ignorais.
C’est dans le sous-sol de sa maison à Brossard, entre les biographies de Ginsberg et une belle collection de Blue Note, que je rencontre le jeune père de famille derrière l’initiative.
Jean-François m’explique que la genèse du projet s’est formée à la suite d’une publication d’un ami sur Instagram qui exhibait ses vieux posters de shows hardcore.
En les voyant défiler, il se dit : « C’est très cool, mais ne serait-ce pas mieux si on ouvrait la démarche à tous les styles? »
Il n’en fallait pas plus.
L’ancien disquaire se retrousse les manches et démarre l’aventure en publiant ses propres affiches, puis celles d’amis. Il épluche les archives de journaux, creuse les ressources publiques de la BAnQ.
« Dès le début, la réaction fut super positive, poursuit l’archiviste amateur. Des centaines de contributeurs en ligne ont depuis adhéré au projet en m’envoyant leurs souvenirs de show. »
Véritable mosaïque de l’héritage musical montréalais, la page propose également l’histoire exhaustive de chaque salle mise de l’avant.
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Grâce à l’envergure du catalogue, il est possible de témoigner de l’évolution des modes graphiques et de l’improbable chaise musicale des salles de spectacle. On apprend que Coltrane a joué à la même adresse où, plus tard, les danseurs du 281 se sont dandinés en string, qu’un restaurant de souvlaki s’est transformé en bar underground du Plateau et que la Sala Rossa fut jadis un haut lieu de rassemblement pour la communauté juive de gauche.
« Entre deux posters alternatifs du Spectrum, j’essaie de glisser le récit d’un promoteur légendaire ou d’un cabaret de jazz plus obscur. »
« Montréal possède une riche histoire dont on devrait être fier. Je souhaite partager ces événements en apportant du contexte. Mettre de l’avant autant l’aspect artistique de l’affiche que sa valeur historique », affirme le mélomane féru de jazz.
On apprend que Charlie Parker a joué Chez Parée et Miles Davis au Black Bottom, un club de la Petite-Bourgogne. En tombant sur cette coupure de journal, Jean-François sourcille; mais comment un endroit aussi modeste a-t-il pu accueillir le trompettiste alors au sommet de sa gloire? Il entame les recherches et découvre que le propriétaire de l’établissement était en fait un ami personnel de Davis et l’a invité entre deux dates de tournée. Chaque quête résolue par Jean-François permet d’offrir à son public une anecdote savoureuse.
En effet, la page rassemble désormais une communauté de passionnés alimentant à leur tour les publications de commentaires et de photos. Un projet rassembleur érigeant, une entrée à la fois, une vaste généalogie collective. À titre d’exemple, un fidèle nous apprend qu’à la venue des Pixies aux Foufs, en 1988, la salle était presque déserte et Kim Deal (basse et chant) cherchait à acheter de l’herbe aux quelques spectateurs présents.