À la fin des années 1920 et au début des années 1930, le cœur de la scène des boîtes de nuit de Montréal se trouvait à l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine. La Grande Dépression est passée sans causer de dommages sérieux au secteur des cabarets. Les gens, semble-t-il, trouvaient toujours assez d’argent pour boire un verre, quelle que soit leur situation financière.
MONTMARTRE
Le cabaret Montmartre était un établissement de divertissement situé à l'angle de la rue Sainte-Catherine et de la rue Clark à Montréal. Réputé pour ses spectacles de musique, de danse et de divertissement, il était très populaire à son époque. Le cabaret Montmartre a accueilli divers artistes locaux et internationaux, contribuant ainsi à l'animation de la scène culturelle montréalaise des années 1930. Dans les années 1950, un autre cabaret, également nommé Montmartre mais avec des propriétaires différents, a ouvert au 1417 boulevard Saint-Laurent, à l'angle de la rue Sainte-Catherine. Ce nouveau Montmartre a pris la relève du Faisan Doré, le premier grand cabaret francophone du Québec.
Ce texte est assemblé à partir d’archives de journaux
Dernière mise à jour du texte | 8 juin 2024 |
Coin nord-est de Saint-Laurent et Sainte-Catherine, Montréal
E6,S7,SS1,D760683-760683 BAnQ
PROHIBITION : PROSPÉRITÉ DES ÉTABLISSEMENTS MONTRÉALAIS
Parce que certains Américains bien intentionnés mais idéalistes ont interféré dans la vie privée des autres, les États-Unis ont instauré la prohibition dans les années 1920, et Montréal a vu naître une nouvelle industrie : les boîtes de nuit.1
Avec le « Volstead Act » transformant le pays au sud du Canada en Sahara, les Américains, les New-Yorkais en particulier, se sont rués en masse de l’autre côté de la frontière pour faire ce qui leur venait naturellement — boire un verre. Plus la soif des visiteurs était grande, plus les tenanciers de bars locaux ouvraient d’autres bars pour l’étancher. Montréal est rapidement devenue une ville de saloons, mais cela ne suffisait pas. La concurrence était féroce et certains propriétaires de bars avisés ont ajouté des divertissements aux cacahuètes et aux pretzels et l’industrie des boîtes de nuit est née.1,2
In agin, out agin-in good Old Montreal, Collection Pierre Monette, BAnQ
À une époque, Montréal comptait plus de boîtes de nuit que Chicago et Los Angeles réunis. Dans le domaine du cabaret, Montréal a été considérée comme l’une des villes les plus importantes en Amérique. New York et Las Vegas venaient en première et deuxième place; Montréal se classait troisième.1,2
À la fin des années 1920 et au début des années 1930, le cœur de la scène des boîtes de nuit de Montréal se trouvait à l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine. La Grande Dépression est passée sans causer de dommages sérieux au secteur des cabarets. Les gens, semble-t-il, trouvaient toujours assez d’argent pour boire un verre, quelle que soit leur situation financière.1
C’est dans ce contexte que de nombreux cabarets, dont le Café Montmartre, ont émergé à Montréal.
Swinging in Paradise, John Gilmore, The Story of Jazz in Montreal, Vehicule Press, p85
Myron Sutton Collection, Concordia University Archives
CABARET CAFÉ MONTMARTRE (1937-1939)
Le premier cabaret Montmartre a ouvert ses portes au 59 rue Sainte-Catherine Ouest au printemps 1937. Adolphe Allard en a été le propriétaire et Willie Légaré en a été le gérant. À l’origine, le cabaret Montmartre était un club typique de Montréal, avec des artistes noirs et un public principalement blanc.3,4
Les Canadian Ambassadors de Mynie Sutton ont été le groupe vedette alors que le Montmartre devenait l’un des lieux les plus branchés de Montréal. Les Canadian Ambassadors étaient l’un des très rares groupes de jazz noir basés au Canada dans les années 1930. Ils ont été embauchés au Montmartre pour instaurer une nouvelle politique de spectacles d’artistes noirs au cabaret. Le groupe a joué au Montmartre tout au long de l’hiver 1937 et jusqu’à l’été 1938, atteignant ainsi le sommet de leur gloire.5,6,7,8
Swinging in Paradise, John Gilmore, The Story of Jazz in Montreal, Vehicule Press, p83
Myron Sutton Collection, Concordia University Archives
Après un an au Montmartre, les Canadian Ambassadors sont devenus victimes de stéréotypes raciaux et de discrimination qui ont si souvent façonné l’histoire du jazz depuis ses débuts. « Se pliant à la convention, la direction a licencié les musiciens noirs et les a remplacés par des musiciens blancs », explique Sutton. « Lorsque le Montmartre a changé de politique, cela a donné l’impression que toute la ville avait changé de politique. C’était très difficile. La scène musicale à Montréal était au creux de la vague. »6
À Montréal, comme dans de nombreuses villes, l’accueil des musiciens noirs a varié selon les époques et les lieux. Dans certains contextes, ils ont été accueillis et appréciés, contribuant de manière significative à la scène musicale locale. Cependant, ils ont également connu des périodes de discrimination et de racisme systémique, limitant leurs opportunités et leur traitement équitable. Ces réalités complexes ont reflété les défis rencontrés par les musiciens noirs dans leur quête de reconnaissance et de succès, non seulement à Montréal mais aussi dans de nombreuses régions.
En 1939, Harry Holmok, propriétaire du Vienna Grill, a acquis le cabaret Montmartre de la rue Sainte-Catherine et l’a renommé Bellevue Grill. Ce dernier est devenu le précurseur du très populaire Bellevue Casino de la rue Ontario, marquant ainsi la fin du premier cabaret Montmartre.1
1417 blvd. Saint-Laurent, Montréal
Archives de la Ville de Montréal
CAFÉ MONTMARTRE (1951-1970)
Un nouveau cabaret appelé Café Montmartre, sous la direction de différents propriétaires, a ouvert au 1417 boulevard Saint-Laurent le 24 janvier 1951, à l’angle de la rue Sainte-Catherine, là où le cabaret Frolics avait inauguré l’âge d’or des boîtes de nuit de Montréal en 1929.3
En effet, l’adresse du 1417 boulevard Saint-Laurent a été le foyer de plusieurs cabarets remarquables au fil de son histoire :
- Frolics (1929-1933)
- Connies Inn (1933-1935)
- Casino De Parée (1935-1938)
- Café Val d’Or (1938-1947)
- Au Faisan Doré (1947-1950)
- Café Boléro (1950-1950)
- Café Montmartre (1951-1970)
Le Café Montmartre a repris le flambeau du Faisan Doré, le premier grand cabaret francophone du Québec.
Le Faisan Doré a participé à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes québécois francophones. Il a été géré par les frères Edmond et Marius Martin, deux membres de la mafia marseillaise impliqués dans le trafic d’héroïne à Montréal. Le cabaret a également été lié à Vincent Cotroni, un mafioso devenu célèbre et l’un des fondateurs de la mafia montréalaise et à son partenaire Armand Courville. Homme plutôt courtois et propriétaire de nombreux cabarets à Montréal, Monsieur Cotroni — Vic pour les intimes — a engagé le chanteur et animateur de radio québécois Jacques Normand comme maître de cérémonie et lui a donné carte blanche. Vincent Cotroni était fasciné par les arts et aimait accorder une chance à ceux en qui il avait confiance, se plaisant à être considéré comme l’ami des artistes.9
Jacques Normand, 1949, BAnQ
Avant l’ouverture du cabaret Au Faisan Doré, le Café Val d’Or, appartenant également à Vic Cotroni et à ses associés, était reconnu non seulement comme un lieu de divertissement, mais aussi comme un endroit bien connu pour le racolage.10
Jacques Normand explique que le projet du Faisan Doré consistait à faire de cette boîte un cabaret français en mélangeant la formule des « chansonniers de Montmartre », la chanson populaire et une participation du public, selon la formule à succès dont on se servait à CKVL.9,11
Au Faisan Doré, 1417 blvd. Saint-Laurent, Montréal, Mémoires des Montréalais
Photo: Evelyne Febbrari
Grâce à Jacques Normand, Monique Leyrac a connu sa première chance et est devenue l’une des plus grandes chanteuses du Québec. Le Faisan Doré a servi de tremplin à plusieurs autres artistes de talent, notamment Denise Filiatrault, Aglaé et Colette Bonheur. Deux jeunes garçons lui ont aussi dû leur entrée dans le monde artistique : Fernand Gignac et un gentil serveur du nom de Raymond Lévesque. Le petit Fernand Gignac (14 ans) a remporté le premier prix dans un concours d’amateurs avec son interprétation de Maître Pierre (dont le jury était composé de Jacques Normand, Jean Rafa, Pierre Roche et Charles Aznavour). Le Faisan Doré a été un creuset remarquable d’où a germé toute une génération d’artistes qui ont marqué les années 1960 et 1970 au Québec.9,12
Fernand Gignac (14 ans) remporte le premier prix avec son interprétation de Maître Pierre
Après le départ de Jacques Normand, le Faisan Doré a éprouvé des difficultés insurmontables. Convaincus que le succès du cabaret reposait entièrement sur les épaules de Normand, les frères Martin ont préféré mettre fin à leurs activités plutôt que de chercher un remplaçant. Cette décision a aussi été influencée par le rythme effréné des ouvertures et des fermetures des cabarets à Montréal. Le désintérêt du public pour un spectacle pendant deux semaines consécutives pouvait rapidement mener à sa fermeture. C’est donc le triste sort qui a attendu le Faisan Doré : le rideau est tombé et la porte s’est fermée.9
Un groupe d’artiste réunis au Au Faisan Doré, en 1948
Archive de Monique Leyrac, Wikipedia
Le 24 janvier 1951, le Faisan Doré a subi une transformation complète et a été rebaptisé Café Montmartre. Le cabaret était sous la direction de René Lessard.13,14,15,16
Edmond Martin, propriétaire du défunt Faisan Doré, a rejoint l’équipe du Montmartre en tant que directeur artistique. Il a engagé l’un de ses anciens animateurs, Jean Rafa, comme maître de cérémonie. Jean Rafa avait rapidement conquis le cœur du public canadien dès son arrivée au Canada en 1948 grâce à son enthousiasme, son humour et sa finesse, ce qui l’avait fait devenir l’un des animateurs les plus remarquables du pays.17,18,19,20
« C’était l’après-guerre », raconte Jean Rafa, « et pour nous qui arrivions d’Europe, Montréal c’était le Klondike. Ici, l’argent coulait à flot. En France, c’était la misère. Au Faisan Doré, où je travaillais aussi comme animateur, je présentais Roche et Aznavour. L’atmosphère de cette époque était extraordinaire. Le Faisan Doré, administré par Edmond Martin, pouvait recevoir 600 personnes et on y vendait 2 400 grosses bouteilles de bière par soir. »21
En vue de l’ouverture du nouveau Café Montmartre, la direction a décidé de modifier complètement la décoration, en capitonnant les murs et en construisant une scène plus spacieuse. Pour le spectacle d’inauguration, on a fait appel aux talents d’une diseuse française, Lucienne Delyle.22
Sur la scène du Café Montmartre, se sont produits tour à tour des célébrités françaises telles que Mistinguett, Patachou, Jacqueline François, Pierre Roche, Charles Aznavour, Léo Marjane, Nicole Vernon, ainsi que des vedettes québécoises comme Lucille Dumont, Denise Filiatrault, Roger Clément, et Fernand Gignac.
Le samedi, juillet 1952, BAnQ
Dominique Michel, une jeune Montréalaise, a fait ses premiers pas en boîte de nuit au Café Montmartre. Les journaux l’ont décrite comme une « agréable révélation ». Ils ont écrit : « Ce petit bout de femme possède indéniablement un talent prometteur. Sa voix est charmante, sa diction excellente, et elle a déjà démontré beaucoup d’aisance et de souplesse sur scène. » Le Café Montmartre est rapidement devenu une boîte de nuit prestigieuse. On l’a surnommé « le foyer des grandes étoiles françaises. »16,23,24,25
Dominique Michel, P795,S1,D212, BAnQ, Fonds Gabriel Desmarais
Dans la soirée du 17 février 1952, un incendie d’origine inconnue a causé d’importants dommages au Café Montmartre. Les flammes ont détruit les loges des artistes, tandis que le café lui-même a été endommagé par l’eau et la fumée. Malgré cet incident, les spectacles ont continué sans interruption. Cependant, le propriétaire René Lessard a déclaré faillite la semaine suivante.15,26
En 1952, le Montmartre est passé sous la nouvelle direction de Fernand Payette, Bill Savard et Joseph Beaudry. C’est ce même Joseph Beaudry qui, en 1984, s’est vu décerner le titre de tavernier du siècle par l’Association des propriétaires de tavernes et brasseries du Québec. Au cours de sa vie, Joseph Beaudry a possédé un total de 30 débits de boisson, notamment des tavernes et des clubs de nuit tels que le Café de l’Est, le Montmartre, le Havana, le Pigalle, etc. « Pendant de nombreuses années, mes ventes d’alcool ont été les plus importantes au Canada. J’ai géré jusqu’à 22 débits de boisson simultanément », a-t-il fièrement déclaré.27,28,29,30
Selon les professeurs André G.-Bourassa et Jean-Marc Larrue, Vic Cotroni a été le gérant du Montmartre entre 1953 et 1958.31
Bien que les cabarets à Montréal aient connu une grande popularité, l’ambiance n’était pas toujours agréable pour les artistes, qui travaillaient de longues heures chaque soir sans toujours être bien rémunérés.32
Jean Lapointe, célèbre pour son duo comique Les Jérolas qui faisait sensation dans les cabarets de Montréal, relate : « Pendant les fins de semaine, nous donnions trois spectacles : deux de 45 minutes et un de 10 minutes. Nous étions toujours contraints de raccourcir le dernier car plus la soirée avançait, plus le public était ivre. À ce stade, ils criaient et ne faisaient plus attention. »32
Duo humoristique Les Jerolas, P833,S4,D1093, BAnQ
Effectivement, le public était extrêmement difficile à contrôler, comme le rappelle Dominique Michel, qui a débuté sa carrière à l’âge de 19 ans au Café Montmartre. « Nous n’arrivions jamais à les faire taire ! Travailler dans les cabarets n’a pas du tout été agréable. Les gens buvaient, fumaient et parlaient sans arrêt », décrit-elle. « Je ne me souviens pas d’avoir pris du plaisir dans les cabarets, mais nous avons été obligés d’y travailler pour gagner notre vie. »32
Renée Martel, P697,S1,SS1,SSS4,D123, BAnQ, Fonds Antoine Désilets
Pour les femmes, l’atmosphère de travail pouvait devenir extrêmement difficile, voire insupportable, comme le relate Renée Martel, qui affirme avoir « détesté chaque minute » des 15 années passées à travailler dans les cabarets. « La majorité du public – presque exclusivement des hommes – n’avait aucun respect pour les femmes qui travaillaient dans les cabarets. Les hommes venaient boire un verre, mais si moi, en tant que femme, je sortais dans la salle entre les spectacles, j’étais sûre de me faire tripoter, et cela, sans compter lorsque le patron tentait quelque chose avant », raconte amèrement la chanteuse country, qui, après un spectacle, a décidé d’arrêter complètement les cabarets.32
Selon Denise Filiatrault, réussir dans le milieu artistique exigeait de l’ambition. « Pour percer, il fallait passer par les cabarets ; il fallait persévérer malgré l’atmosphère déplorable. Tout a changé avec l’avènement de la télévision ; cela a offert une autre possibilité de gagner sa vie », déclare-t-elle, se réjouissant d’avoir pu quitter les cabarets.32
Vic Vogel décrit son expérience au Café Montmartre : « Je jouais au Café Montmartre quand j’étais très jeune. Pour pouvoir jouer dans les clubs, je devais avoir une lettre signée par mes parents attestant que j’étais soutien de famille. Quelqu’un m’accompagnait de la loge à la scène — pour me garder du péché mortel de l’alcool — et de la scène à la loge… où s’habillaient et se déshabillaient une douzaine de jolies danseuses avec de longues jambes et de jolis bas noirs. C’était un péché véniel…et agréable. »33
Le 8 janvier 1958, le chef de police Langlois a créé un précédent en réunissant environ 150 gestionnaires du milieu des cabarets. Un seul sujet était à l’ordre du jour : les spectacles jugés osés. L’époque du laisser-aller était révolue, qu’on se le dise : « Nous sévirons contre les danseuses exotiques et les professionnelles du déshabillage progressif. » L’assemblée a acquiescé, le message était clair. Même Joseph Beaudry, propriétaire du Café Montmartre et futur magnat des clubs de danse topless de Montréal, a promis de suivre cette directive.34
The Gazette, 11 janvier 1961, newspapers.com
L’année 1960 a été une année de crime sans précédent dans la métropole canadienne. Le 19 avril 1960, Marcel Decourcy, 27 ans, a été abattu sur le trottoir devant le Café Montmartre, où il travaillait. Aline Suzanne Davidson, 31 ans, a été battue à mort dans une chambre délabrée et ensanglantée sous le Café Montmartre, le 20 septembre 1960.35
Dans les premières années 1960, les cabarets de Montréal ont fait face à des difficultés financières, plongeant la ville dans la désolation. Montréal semblait devenir une métropole de l’ennui. En 1962, les deux formules les plus populaires semblaient être le travesti et les danses orientales exotiques.36
La Patrie, 13 septembre 1962, BAnQ
« Les ‘’blind pigs’’ (bars clandestins) se multiplient ! », déclare sans ambages Joseph Beaudry en 1960. « Quoi qu’on dise, les jeunes se divertissent de plus en plus mal ! Nos employés sont au chômage, nos affaires déclinent considérablement ! Tout le secteur du commerce en souffre ! De plus, le règlement actuel qui impose la fermeture des cabarets trop tôt la fin de semaine est la cause de nos malheurs ! Pour nous, gestionnaires et propriétaires de cabarets, les lundis, mardis, mercredis et jeudis ont été des jours calmes en termes d’affaires. C’est le vendredi et surtout le samedi et dimanche que nous avons rattrapé le coup, c’est-à-dire que nous avons réalisé nos profits. Cependant, avec cette nouvelle réglementation imposant la fermeture à minuit le samedi soir et à 21h le dimanche, tout le monde en a souffert : les propriétaires, les employés et également de nombreux commerçants montréalais qui bénéficient normalement des activités des cabarets. Pour les anglophones, le dimanche est traditionnellement un jour de repos et ils ne sont pas très friands des cabarets. Mais pour les Canadiens français, le dimanche reste un jour de divertissement, donc après la messe, on décide souvent d’aller voir un bon spectacle au cabaret. Les spectacles ne sont pas nécessairement indécents. On peut en voir de similaires à la télévision. Si parfois un programme semble un peu trop audacieux, les autorités municipales interviennent. Si vous fermez les portes trop tôt des boîtes de nuit aux jeunes adultes, ils trouveront d’autres endroits pour occuper leurs loisirs. »37
Charles Aznavour, Café Montmartre, Montréal, BAnQ, Fonds Antoine Désilets
Vers la fin des années 1960, le Montmartre a changé d’administration. Sous cette nouvelle direction, de nombreux artistes invités de renom issus de l’industrie du disque au Québec, de la radio et de la télévision se sont produits au Montmartre, avec Fernand Lefrançois comme hôte, accompagnés de dix superbes danseuses à go-go.38
En 1968, le Montmartre a changé à nouveau de direction et est devenu brièvement un beergarden bavarois, puis un club de soul nommé le Soul Montmartre.39,40,41
The Gazette, 24 février 1969, newspapers.com
Le 25 octobre 1969, Paul Émile Favreau, âgé de 29 ans, a été abattu par quatre balles vers 1h10, au moment où il sortait du Café Montmartre.42
Québec-Presse, 26 octobre 1969, BAnQ
Le 3 juillet 1970, la Sûreté du Québec et la police de Montréal ont fermé le Montmartre. Ils ont saisi des dizaines de caisses de bière et plusieurs flacons d’eau-de-vie. En plus de confisquer le permis de vente d’alcool, les policiers ont également récupéré un bâton de baseball, un gourdin et un poignard. C’est le début d’une opération visant à nettoyer les cabarets de Montréal.43
La police a déclaré que le club violait les lois sur l’alcool de diverses manières, telles que le service de boissons alcoolisées à des mineurs. De plus, l’établissement était décrit comme sale. Le Montmartre, qui détenait un permis indiquant qu’il disposait d’une salle à manger, n’avait pas de cuisine selon la police. L’intérieur était sombre, les murs étaient peints en noir et le sol était recouvert d’un matériau ressemblant à un tapis. Des morceaux de tapis manquaient et il était parsemé de brûlures de cigarette. La police a déclaré que le permis du Montmartre était au nom d’une femme de 21 ans.44
Montréal-Matin, 4 juillet 1970, BAnQ
Trois mois plus tard, dans la nuit du 18 octobre 1970, la police de Montréal a appréhendé 25 adolescents et saisi plusieurs bouteilles d’alcool lors d’une autre descente au Montmartre. Le propriétaire de l’établissement a été arrêté et a comparu sous l’accusation d’avoir vendu de l’alcool sans permis.45
18 octobre 1970, Photo: Pierre McCann, P833,S5,D1970-0710, BAnQ
On peut affirmer sans se tromper que le club de nuit honnête et de bonne réputation, c’est à dire qui respectait le règlement régissant les heures de fermeture et son permis de vente de boissons, qui ne présentait pas de spectacles indécents, qui n’était pas un endroit fréquenté ni par des mineurs, ni par des membres de la pègre, qui n’était pas soumis au chantage, ni par des membres de la ‘’protection’’ et qui n’était pas un lieu où la police était souvent appelée à se rendre pour des actes de violence ou pour toute autre activité illégale, ce genre d’établissement était plutôt rare à Montréal. La Ville de Montréal, de son côté, a tenté d’empêcher l’infiltration et le contrôle des clubs de nuit par les membres du crime organisé en édictant des règlements sévères, mais sans succès.46
Vic Cotroni, Wikipedia
En réalité, le club de nuit contrôlé par la pègre était le lieu par excellence où le crime organisé pouvait camoufler ses nombreuses activités illégales. Il ne servait ni plus ni moins que de paravent. En règle générale, le permis d’exploitation du club de nuit était émis au nom d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire et qui agissait comme prête-nom. Ce dernier n’avait jamais de dossier judiciaire et pouvait donc obtenir un permis de vente d’alcool. L’identité des véritables propriétaires était très difficile à retracer, leur nom n’apparaissait jamais officiellement dans les livres de comptabilité de l’établissement. Celui qui servait de prête-nom était généralement le gérant de l’établissement. Il voyait à l’embauche des garçons de table, des employés de la cuisine, du préposé au vestiaire et du portier.46
Maurice Cusson, criminologue de l’Université de Montréal: « C’est une tradition, les liens entre la mafia et le monde du spectacles.48
Rue Sainte-Catherine, angle blvd. Saint-Laurent, Montréal, E6,S7,SS1,D760683-760683, BAnQ, 1976
Ces photographies ont été commandées par Jacques Dupuis du ministère de l’Éducation, Régie de la langue française, Direction des enquêtes
Dans les années 1980, le 1417 boulevard Saint-Laurent a hébergé une autre salle importante pour la musique punk et métal au Québec, le Black Lite (1987-1988).47
« C’était le pont entre le Rising Sun et les Foufounes Électriques », raconte Vincent Peake, leader du groupe québécois Groovy Aardvark. « J’ai vu énormément de shows là. Groovy Aardvark ont joué au Black Lite pour la première fois en 1987. C’était vraiment sale. C’était jamais nettoyé. Le Black Lite était la place qui coutait à peu près rien à louer, qui était plus grande que le Rising Sun, mieux adaptée pour les shows hardcore et pour le thrash assurément. »47
Depuis 2011, le 1417 boulevard Saint-Laurent est occupé par le strip club Kingdom.