Un projet communautaire et culturel
Le Cafébec se voulait un centre de création artistique et de diffusion culturelle, profondément ancré dans la réalité sociale du quartier. À une époque où 25 à 30 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, le projet visait à redonner la culture au peuple, de manière accessible et participative. Chaque semaine, on y présentait des spectacles gratuits de jeunes artistes québécois — théâtre, musique, danse, cinéma, arts plastiques. Les soirées rassemblaient une quinzaine de personnes en semaine et une soixantaine le week-end, autour d’un café, dans une atmosphère conviviale. L’âge moyen tournait autour de 25 ans, mais le lieu demeurait ouvert à tous, des jeunes aux retraités.
L’esprit du lieu : participation, création, entraide
Sous la coordination de Micheline Lafrance (secteur théâtre) et d’autres animateurs, le Cafébec visait avant tout la création collective. Les habitants pouvaient participer à des ateliers (théâtre, dessin, animation), monter sur scène ou exposer leurs œuvres. Les spectacles n’étaient pas conçus pour divertir des consommateurs, mais pour impliquer la communauté dans un processus d’expression et d’apprentissage.
Le théâtre est un moyen de communication humaine, technique, artistique et sociale. On prépare un spectacle avec les gens et de l’humour parce qu’ils en ont besoin.
— Micheline Lafrance
Subventions et financement
Économie fragile (consommations à 0,20 $), soutenue par des aides publiques et communautaires :
- 44 400 $ — subvention fédérale (Programme des initiatives locales), pour créer des emplois culturels pour chômeurs;
- 500 $ — aide du gouvernement du Québec par artiste-animateur;
- 462 $ — contribution de la Société Saint-Jean-Baptiste (section Hochelaga-Maisonneuve), + tables et chaises fournies.
Ces montants permirent d’aménager les locaux, d’acheter le mobilier et d’assurer une programmation continue en maintenant la gratuité.
Le Cafébec et le Jazz libre du Québec
Le Cafébec accueillit des performances marquantes, notamment le Jazz libre du Québec, collectif emblématique de musique improvisée et engagée. Leur passage illustrait la philosophie ouverte du lieu : les artistes pouvaient utiliser gratuitement la salle pour spectacles ou expérimentations, simplement en contactant Gérard Saint-Pierre ou Carmen Carufel.
Une initiative fragile mais inspirante
Malgré son dynamisme, le Cafébec demeura à la merci des subventions. Un article souligne une interruption temporaire faute de fonds, avant une reprise grâce au programme fédéral. Cette précarité incarne la tension entre volonté communautaire et dépendance institutionnelle — un dilemme fréquent des initiatives culturelles populaires des années 1970.
Héritage et signification
Plus qu’un simple café-théâtre, le Cafébec fut une expérience sociale pionnière rendant la culture au peuple ouvrier d’Hochelaga-Maisonneuve. On pouvait s’y sentir « en vie » : le loisir devenait création, et l’art, moteur de dignité et de réappropriation sociale. Son héritage s’inscrit dans la lignée des cafés communautaires, maisons de la culture et initiatives d’économie sociale qui marqueront Montréal dans les décennies suivantes.