Le Samovar (Montréal)
Restaurant, café-cabaret et salle de spectacles mêlant cuisine française/russe, opérettes viennoises, musique tsigane et revues artistiques. En activité de 1925 à 1949, le Samovar fait partie de l’âge d’or des cabarets de Montréal.
1. Origines (1925–1929)
Le Samovar Tea Room ouvre ses portes le 19 décembre 1925 au 395, rue Mackay, fondé par Ema Goodstone [1]. C’est à l’origine un petit restaurant chaleureux offrant thé, collations et un « refuge de l’ordinaire ».
Ce premier Samovar présente déjà une esthétique russe, bien que modeste, et attire une clientèle d’habitués, d’artistes et d’étudiants.
2. Établissement rue Peel (1929–1936)
Le 14 décembre 1929, le Samovar déménage au 1422, rue Peel et prend une forme plus affirmée en tant que café-cabaret [2]. L’offre s’élargit : cuisine française et russe, soirées musicales, danse.
Très rapidement, le Samovar devient un lieu recherché pour son atmosphère d’ancien empire russe, ses lampes orientales, ses nappes riches et son ambiance évoquant une taverne tsigane [4].
3. L’ère du 1424 Peel (1936–1949)
À partir de 1936, le Samovar s’installe au dernier étage du 1424, rue Peel, où il connaîtra ses plus grandes années [3]. C’est cette époque qui correspond pleinement à l’âge d’or des cabarets montréalais.
La salle propose soirées dansantes, musique tsigane, spectacles de variétés et repas raffinés. Au cours des années 1930 et 1940, plusieurs chroniqueurs affirment que le Samovar présente les spectacles les plus artistiques de tous les night-clubs de Montréal [5].
4. Carol Grauer — l’âme du Samovar
Le 14 mars 1928, un Russo-autrichien jovial et charismatique, Carol Grauer, devient maître de cérémonie du Samovar [6]. Il en deviendra la figure centrale pendant 21 ans.
Grauer, ancien acteur viennois formé par les grands maîtres européens (dont Max Reinhardt), vétéran du régiment des Dragons d’Autriche (blessé et décoré durant la Première Guerre mondiale), arrive au Canada où il travaille brièvement pour le Canadien-Pacifique avant de rejoindre le Samovar [6].
Grauer assume tout :
- maître de cérémonie
- metteur en scène
- gérant
- recruteur d’artistes (voyages à New York toutes les six semaines)
- publicité du club (jusqu’en 1947)
Sous sa direction, plusieurs artistes sont révélés au public : Iva Withers, vedette de Carrousel à Broadway ; les sœurs Kraft, futures stars hollywoodiennes ; Irene Hilda, qui débute au Samovar avant de connaître une carrière transatlantique [6].
La presse dira de lui : « Le Samovar, c’est lui. Sans Carol, le club n’aurait pas été la boîte la plus recherchée de Montréal. » [6][7]
5. Spectacles & opérettes
Dans les premières années, Carol Grauer monte chaque soir une opérette viennoise adaptée à la petite scène du cabaret [6]. Ce travail colossal impose un rythme exigeant : nouvelles mises en scène, recrutement d’artistes européens et américains, répétitions intensives.
Malgré le succès public, la direction finit par abandonner les opérettes, trop coûteuses, au profit de spectacles similaires à ceux des autres cabarets de Montréal — revues, danse, chansons, humour et numéros variés.
Le Samovar demeure néanmoins l’un des cabarets les plus artistiques de la ville, cité dans la presse comme un lieu d’avant-scène culturel [5].
6. Départ de Carol Grauer & transformation du Samovar
En octobre 1948, après 21 ans de service, Carol Grauer annonce sa démission, en désaccord avec la propriétaire qui souhaite moderniser le décor [8]. Son départ marque la fin d’une époque : « Le Samovar resta agréable, mais sans Carol, ce n’était plus qu’un autre café. » [8]
Le mois suivant, il devient maître de cérémonie de la salle Tzigane du Café Bucharest (3956 boulevard Saint-Laurent), où une pluie de fleurs envoyées par ses admirateurs l’accueille [9][10].
Le 24 mars 1949, le Samovar est vendu et rouvre sous le nom de Carrousel [11].
7. Héritage & importance culturelle
Le Samovar occupe une place majeure dans l’histoire des cabarets montréalais. Par son atmosphère immersive, sa cuisine russe et française, ses opérettes viennoises, son ambiance tsigane et surtout l’immense travail artistique de Carol Grauer, il s’impose comme l’un des lieux les plus raffinés des années 1930-40.
Plus tard, le même immeuble accueillera le restaurant Carlos & Pepes (1990–2021), mais la mémoire du Samovar demeure celle d’un des joyaux de la rue Peel — une époque où Montréal brillait d’une constellation de cabarets uniques en Amérique du Nord.
8. Sources
- The Samovar Tea Room, The Gazette, 18 décembre 1925.
- The new Samovar, The Gazette, 13 décembre 1929.
- The Montreal Star, 4 juillet 1936.
- Grande ouverture Samovar, La Presse, 14 décembre 1929.
- Parlons cinéma, Le Canada, 14 mars 1946.
- « Sans Carol le Samovar ne serait pas ce qu’il est », Le Petit Journal, 14 mars 1948.
- Silence on tourne, Le Canada, 12 mars 1948.
- Sean Edwin’s sound track, The Gazette, 16 octobre 1948.
- Tzigane room has premiere, The Montreal Star, 4 novembre 1948.
- Carol Grauer opens new Bucharest show, The Gazette, 4 novembre 1948.
- Tonight the official opening of the Carrousel, The Gazette, 24 mars 1949.








