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Café des Artistes / Le Crash (Montréal)

Le Café des Artistes, situé au 1473, boulevard Dorchester Ouest (aujourd’hui René-Lévesque Ouest), figure parmi les lieux les plus emblématiques de la sociabilité artistique montréalaise des années 1950 et 1960. Bien au-delà d’un simple restaurant, il agit comme carrefour culturel, point de ralliement médiatique, lieu d’expositions et de vernissages, et socle des discothèques établies à l’étage — dont la plus célèbre demeure Le Crash (ainsi que des établissements apparentés, dont le Chic-Choc).

1. Présentation

Le Café des Artistes appartient à la constellation des lieux montréalais de l’après-guerre où l’on vient se restaurer, tenir salon et prolonger la soirée après les spectacles. Dans la presse spécialisée du spectacle (Radiomonde, Télémonde, puis Télé-radiomonde), l’établissement apparaît comme une adresse familière : on y décrit des réceptions, des rencontres, une circulation continue d’artistes et de travailleurs des milieux de la radio et de la télévision, et un statut de “carrefour” au centre-ville.

La lecture “musée” du lieu repose sur sa superposition programmatique : un café culturel au niveau de la rue, et, au-dessus, une vie nocturne portée par des discothèques, dont Le Crash, associées à la modernité urbaine de la période.

2. Origines et implantation (Dorchester / Mackay)

L’adresse — angle Dorchester Ouest et Mackay — place le Café au cœur d’un centre-ville en mutation, à proximité de pôles médiatiques, de théâtres et d’hôtels, ce qui favorise sa fréquentation par les milieux du spectacle. Dès la fin des années 1950, des textes et chroniques en font un lieu “central” où se côtoient artistes, journalistes, comédiens et artisans des réseaux de la radio et de la télévision.

La presse régionale (1958) documente également l’établissement sous l’angle d’une destination “d’artistes” au centre-ville, associée à Hector Tellier et sa femme Ghislaine Branchaud , et décrit le café comme une adresse déjà bien installée dans la culture populaire.

3. Ghislaine Branchaud Tellier : une femme centrale de la vie culturelle

Ghislaine Tellier occupe une place fondamentale dans l’histoire du Café des Artistes. Souvent réduite, a posteriori, à son rôle d’épouse, la presse de l’époque et les légendes de photos la montrent comme gestionnaire, hôtesse, animatrice — et, selon une mention explicite, comme chef-cuisinière du lieu. Sa présence incarne la dimension “maison” du Café : un endroit où l’on revient, où l’on est reconnu, et où l’on peut organiser des événements collectifs.

« C’est l’épouse de Jean-Pierre Masson, Ghislaine Tellier-Masson, qui agit comme chef-cuisinier au “Café des Artistes”. D’après les clients, elle se débrouille fort bien. »

Télé-Radiomonde, 16 décembre 1972

Re-mariée en 1972 à Jean-Pierre Masson (Acteur; rôle de Séraphin dans Les Belles Histoires des Pays-d'en-Haut), Ghislaine développe une trajectoire autonome en affaires; la presse titre explicitement sur la vente du café et met en scène, en creux, les contraintes sociales imposées aux femmes entrepreneures.

« Pour plaire à mon mari, j’ai vendu mon “Café des Artistes”. »

— Ghislaine Tellier, Télé-Radiomonde, 28 juillet 1973

4. Vernissages, expositions et vie artistique visuelle

Les archives consultées confirment l’usage du Café des Artistes comme lieu culturel au sens large : pages mondaines, réceptions, soirées, “premières joyeuses”, et ouverture d’une nouvelle salle. Dans ce contexte, il est pertinent (et conforme aux pratiques montréalaises des années 1950–1960) de documenter le Café comme espace d’accrochage et d’expositions temporaires, souvent hors institutions, où les murs servent de supports et où les soirées de lancement prennent la forme de réceptions.

5. La salle “L’Aiglon” (extension / nouvelle salle)

En janvier 1962, Radiomonde publie une page illustrée signalant que le Café des Artistes est désormais doté d’une nouvelle salle appelée « L’Aiglon », décrite comme une extension visant à rendre l’endroit plus plaisant. La légende associe explicitement cette nouveauté à Ghislaine Tellier (propriétaire) et à Jacques Labrecque, dans le contexte d’une soirée de célébration.

Cette mention constitue un repère important : elle montre que le Café se pense comme un lieu d’événements (réceptions, rencontres, possiblement présentations artistiques), et qu’il investit dans une infrastructure interne (nouvelle salle) pour accueillir davantage de public ou diversifier les usages.

6. Les discothèques à l’étage : Le Crash, Chic-Choc et la naissance de la discothèque moderne à Montréal

L’existence de discothèques à l’étage du Café des Artistes s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire de la vie nocturne montréalaise : celui du passage du cabaret traditionnel à la discothèque moderne. Contrairement aux salles de spectacle assises ou aux cabarets à numéros, la discothèque privilégie la danse, la musique enregistrée, l’immersion sensorielle et une sociabilité plus libre, souvent associée à la jeunesse urbaine, aux milieux artistiques et médiatiques, et à une modernité cosmopolite.

Dans ce contexte, le site du 1473, boulevard Dorchester Ouest adopte une configuration typique mais encore relativement nouvelle à Montréal : un café-restaurant culturel au niveau de la rue, servant de point de rencontre diurne et d’« après-spectacle », et des établissements nocturnes à l’étage, accessibles en soirée et la nuit. Cette superposition programmatique permet une continuité entre sociabilité intellectuelle, culture, fête et danse, au sein d’un même immeuble.

Les sources permettent d’affirmer avec certitude que les discothèques ne se trouvaient pas dans le Café lui-même, mais bien au-dessus. Le Café des Artistes agit ainsi comme socle social et symbolique d’une vie nocturne plus expérimentale, dont Le Crash constitue l’exemple le plus marquant.

Le Crash : une discothèque emblématique — Ouverture 1 août 1967 / Fermeture septembre 1970

Le Crash apparaît comme l’enseigne la plus étroitement associée à l’étage du Café des Artistes. Bien que sa documentation iconographique demeure rare, sa présence est confirmée par des recoupements de presse, des mentions indirectes et une mémoire culturelle persistante. Le Crash appartient à cette génération de clubs qui rompent avec l’esthétique du cabaret pour adopter une ambiance plus abstraite, rythmée par la musique, l’éclairage et la danse.

À l’échelle montréalaise, Le Crash s’inscrit dans une constellation de lieux nocturnes qui, au cours des années 1960, contribuent à faire de la discothèque un espace d’avant-garde culturelle, fréquenté par les artistes, designers, animateurs, travailleurs des médias et figures de la scène moderne.

Le Crash est un endroit qui n’est pas pour les âmes sensibles. D’abord, on le reconnaît rapidement grâce à la moitié d’une voiture fixée au mur extérieur. Puis, une fois à l’intérieur, on découvre des morceaux et des pièces de voitures un peu partout.

Il y a une autre carcasse de voiture au-dessus du bar ; les murs sont décorés de feux arrière clignotants, et les tables sont constituées de disques de verre ronds soutenus par des volants de direction et des colonnes.

Le Crash propose une piste de danse en métal et deux — oui, deux — stroboscopes à part entière. Si vous ne connaissez pas les stroboscopes, ce sont des lumières puissantes et clignotantes qui donnent aux danseurs l’apparence d’acteurs dans un film des années 1920. Là encore, ce n’est pas pour les yeux fragiles.

La musique est ce qui se fait de plus récent chez les groupes pop — Led Zeppelin, Chicago, et autres. Et c’est bruyant. La clientèle est principalement jeune, mais tout le monde est bienvenu ; l’atmosphère n’est pas cliquée, même si, comme dans bien des discothèques, on y retrouve un grand nombre d’habitués.

Les prix sont comparables à ceux des autres discos — 1 $ la bière, 1,50 $ les spiritueux et 1,75 à 2 $ les consommations mixtes.

Jean-Paul Mousseau et Le Crash : la discothèque comme œuvre-environnement

L’histoire du Crash prend une dimension déterminante lorsque l’on considère l’implication de Jean-Paul Mousseau, artiste majeur de l’art abstrait québécois et figure centrale du mouvement automatiste. Dès la fin des années 1950, Mousseau s’impose comme l’un des premiers créateurs à concevoir la discothèque non comme un simple lieu de danse, mais comme un environnement total, intégrant architecture intérieure, lumière, surfaces et circulation des corps.

Dans la presse de l’époque, Le Crash est explicitement associé à Mousseau, alors identifié comme peintre-sculpteur, confirmant que la discothèque relève d’un geste artistique et non d’une simple opération commerciale. Cette attribution place Le Crash dans la continuité directe des autres discothèques conçues par Mousseau à Montréal, où l’art abstrait quitte le cadre du musée pour investir la nuit et la culture populaire.

La démarche de Mousseau repose sur une rupture avec le décor figuratif : reliefs abstraits, textures, volumes, éclairages colorés et dynamiques participent à une expérience sensorielle globale. La musique enregistrée, la danse et la lumière ne sont plus des éléments accessoires, mais les composantes centrales d’une œuvre immersive.

Dans cette perspective, Le Crash doit être compris comme un laboratoire de modernité, où se rencontrent art automatiste, culture nocturne et nouvelles formes de sociabilité urbaine. Même en l’absence d’un inventaire visuel complet, son inscription dans l’œuvre de Mousseau permet d’en saisir la portée culturelle et esthétique.

Le Chic-Choc, L’Empereur et la pluralité des usages

Les sources et mentions d’archives associées au site font également état de plusieurs autres appellations de discothèques, notamment L’Empereur en 1966, le Chic-Choc en 1971 et le Henri Club en 1978. Cette diversité de noms témoigne d’une succession d’enseignes au fil du temps, une pratique courante dans l’univers de la vie nocturne montréalaise.

Les établissements adoptent ainsi de nouvelles identités — qu’il s’agisse du concept, du positionnement ou de la clientèle visée — sans transformation majeure de l’infrastructure ou de l’aménagement intérieur, illustrant la capacité d’un même lieu à se reconfigurer symboliquement au rythme des modes et des publics.

Un jalon de la modernité nocturne montréalaise

Le Crash et les autres discothèques de l’étage du Café des Artistes doivent ainsi être compris comme un jalon essentiel de la transition entre le Montréal des cabarets et celui des clubs modernes. Ils incarnent une nouvelle manière d’habiter la nuit, fondée sur la danse, la musique, l’éclairage et la circulation libre des corps, en dialogue direct avec les mutations artistiques et sociales de l’après-guerre.

La disparition du café, et plus tard de restaurants, remplacé par des condominiums, ne fait qu’accentuer l’importance patrimoniale de ces lieux dont l’existence repose aujourd’hui sur les archives, les recoupements et la mémoire culturelle. Le Crash demeure ainsi l’un des témoins les plus éloquents de la naissance de la discothèque moderne à Montréal.

7. Déclin, dissolution et disparition du site

Les avis publiés dans la Gazette officielle du Québec permettent de retracer des jalons précis : incorporation du Café des Artistes en 1964, demande d’abandon de charte en 1970, puis acceptation officielle en 1971. Ces repères documentaires cadrent la fin d’un cycle et la transition du commerce (et, possiblement, de la configuration des étages).

Les adresses 1471 et 1473 sont désormais occupées par des condominiums récents, effaçant toute trace physique de ce pan majeur de l’histoire culturelle montréalaise.

8. Notes & sources (ultra détaillées)

  1. RADIOMONDE (BAnQ numérique), 16 février 1957, p. 12 — page mondaine / illustrée.
    Signalement : le Café des Artistes apparaît comme lieu de réception / carrefour du milieu du spectacle; légendes de photos associées au site et à l’hospitalité du lieu.
    Usage MCPA : preuve d’usage social et culturel (réceptions, mondanités; “lieu où l’on se montre”).
  2. RADIOMONDE et TÉLÉMONDE (BAnQ numérique), 21 septembre 1957, p. 9 — article signé Mario Duliani, « Ils ne mourront plus de faim, nos artistes ! ».
    Signalement : chronique sur la condition des artistes et leurs lieux de sociabilité; mention du Café des Artistes comme repère du milieu.
    Usage MCPA : contextualisation “carrefour” (habitudes, après-spectacle, réseau).
  3. LE COURRIER DE BERTHIER (BAnQ numérique), 17 juillet 1958, p. 12 — « Au Café des Artistes ».
    Signalement : repères de localisation (Dorchester Ouest / Mackay), association au nom Hector Tellier, description du café comme adresse d’artistes au centre-ville.
    Usage MCPA : identification / localisation; continuité “Tellier”.
  4. TÉLÉ-RADIOMONDE (BAnQ numérique), 19 septembre 1959 — annonce publicitaire.
    Signalement : mention de “Jean et ANDRÉ” comme nouveaux chefs; adresse 1473 Dorchester Ouest; téléphone WE.3-0529; mise de l’avant des déjeuners et lunchs.
    Usage MCPA : preuve d’adresse + fonctionnement “restaurant” (clientèle quotidienne).
  5. RADIOMONDE (BAnQ numérique), 6 janvier 1962, p. 16 — page illustrée « Chez Rostand, les artistes ont trinqué ! ».
    Signalement : annonce / description de la nouvelle salle “L’Aiglon”; mention de Ghislaine Tellier (propriétaire) et de Jacques Labrecque.
    Usage MCPA : preuve d’extension / nouvelle salle; indice fort d’événementialisation (réceptions; ouverture de salle; possible contexte de vernissages).
  6. TÉLÉ-RADIOMONDE (BAnQ numérique), 16 décembre 1972 — mention / portrait.
    Signalement : phrase citant Ghislaine Tellier-Masson comme cheffe-cuisinière du Café des Artistes (citation reprise dans la fiche).
    Usage MCPA : rôle concret de gestion et de cuisine; confirmation de sa centralité.
  7. TÉLÉ-RADIOMONDE (BAnQ numérique), 28 juillet 1973 — entretien / portrait : « Pour plaire à mon mari, j’ai vendu mon “Café des Artistes” ».
    Signalement : repère de vente et de tournant biographique; formulation devenue emblématique du récit public autour du lieu.
    Usage MCPA : jalon de transition / fin d’une période.
  8. GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 21 novembre 1964incorporation : « Café des Artistes (Montréal) inc. ».
    Détails à inscrire dès validation : volume / numéro / partie / page / forme exacte du nom corporatif / administrateurs (si publiés).
    Usage MCPA : repère juridique permettant de cadrer l’histoire administrative du lieu.
  9. GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 16 mai 1970demande d’abandon de charte.
    Détails à inscrire dès validation : volume / numéro / partie / page / formulation exacte / raison indiquée (si publiée).
    Usage MCPA : repère de déclin / transition corporative.
  10. GAZETTE OFFICIELLE DU QUÉBEC, 18 décembre 1971acceptation de l’abandon (abandon de charte entériné).
    Détails à inscrire dès validation : volume / numéro / partie / page / mention exacte de la décision.
    Usage MCPA : jalon de fermeture administrative.
  11. BAnQ numérique — fonds et collections Radiomonde / Télémonde / Télé-radiomonde (années 1950–1970).
    Usage MCPA : dépouillement des rubriques mondaines, annonces culturelles, légendes de photos et chroniques “après-spectacle” afin d’établir un inventaire daté des réceptions, ouvertures, vernissages et expositions associés au Café (et, si applicable, à la salle “L’Aiglon”).

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