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EL MOROCCO

Le cabaret El Morocco fut l’un des établissements nocturnes les plus emblématiques de Montréal entre 1940 et 1966, reconnu pour ses spectacles raffinés, ses artistes internationaux et son ambiance luxueuse. Il changea d’adresse à trois reprises et attira des personnalités célèbres comme Édith Piaf, Dean Martin et Lili St-Cyr. Malgré son prestige, le club appliquait des pratiques discriminatoires en refusant l’accès aux clients noirs, bien que certains musiciens afro-américains y aient performé. Sa gestion fut marquée par des figures colorées comme Jimmy Orlando et Eddie Quinn, et le lieu contribua à plusieurs œuvres caritatives. Après plusieurs fermetures, reprises et changements de vocation, l’El Morocco finit par devenir une salle de spectacle rock (le Moustache) avant d’être transformé dans les années 1990; l’immeuble abrite aujourd’hui un centre de santé.

“Mis à part peut-être le cabaret Frolics, rares sont les boîtes de nuit montréalaises qui auront laissé une empreinte aussi vive et mémorable que le cabaret El Morocco.”

Al PalmerChroniqueur au Montreal Herald et The Gazette
Image: Edmond Felton (centre), courtoisie de Marie-Claude Felton

Le cabaret El Morocco a connu trois adresses à Montréal au cours de son histoire: le premier au 1433 rue Mansfield (1940-1942), le deuxième au 1410 rue Metcalfe (1942-1949), et le troisième au 1445 rue Lambert-Closse (1954-1966).2,3,4

Image: Ouverture El Morocco, 3 mai 1940, The Gazette

Le premier El Morocco était la propriété de la Croydon Corporation Limited.5 Le cabaret présentait du chant, de la comédie et de la danse. Harry Rose, le bouffon de Broadway, était le maître de cérémonie. Tous s’entendaient pour dire que le El Morocco était un des plus modernes et des plus confortables cabarets de la métropole. Il y avait deux orchestres: celui de Lew Clayton et de Peter Barry. On trouvait au cabaret tous les vins et liqueurs ainsi que tout ce qui pouvait assurer aux gourmets le plaisir gastronomique.6

Image: 10 novembre 1941, The Gazette

Le deuxième El Morocco se re-localise au 1410 rue Metcalfe, le 12 mars 1942. Les décorations intérieures du cabaret El Morocco étaient l’œuvre de George Mitchell, un artiste de Chicago. Mitchell avait dessiné les plans de plusieurs cabarets célèbres de Chicago. Les murs étaient recouverts de cuir rouge sombre. Il était entièrement emménagé et décoré selon un style moderne d’une grande sobriété et d’une beauté indéniable.3

Image: El Morocco, Mémoires des Montréalais

Un des co-propriétaires du cabaret fut le promoteur de lutte et de boxe Eddie Quinn et le gérant a été pendant de nombreuses années l’ancien joueur de hockey Jimmy Orlando (qui connut une relation tumultueuse et médiatisée avec Lili St-Cyr, la reine du striptease) et qui avait des liens avec la mafia montréalaise.7,8

Image: Eddie Quinn, co-propriétaire El Morocco, (BAnQ)
Image: Jimmy Orlando, gérant du El Morocco, (BAnQ)

Le El Morocco a collecté des sommes fantastiques pour des œuvres caritatives et a emmené régulièrement son orchestre et ses choristes dans les hôpitaux pour anciens combattants. Aucun organisme de charité ne s’est vu refuser l’aide du El Morocco.1

Image: Al Palmer, chroniqueur du nightlife montréalais, 1953, (BAnQ)

Le El Morocco était l’endroit où vous vous dirigiez pour une soirée spéciale en ville. Selon le chroniqueur montréalais Al Palmer, « The El Morocco had the prettiest chorus line, the funniest comics, the thickest steaks and the strongest drinks ». Vous pouviez toujours manger un bon repas. Toutes les célébrités américaines de passage à Montréal venaient y faire un tour telles que les boxeurs Jack Dempsey et Jack Sharkey, plusieurs joueurs professionnels de hockey ou encore Lili St-Cyr après son spectacle au Théâtre Gayety.7

Image: Lili St-Cyr

En 1947, un groupe dirigé par le lutteur Yvon Robert fait l’acquisition de l’El Morocco, rue Metcalfe.9 Le gala d’ouverture se déroule le 5 avril 1947.10 Le club est décoré avec le meilleur goût et possède une atmosphère reposante. Le bar est luxueux, intime et invitant, et le parquet de danse sans être particulièrement spacieux est satisfaisant.11

Image: La Patrie, 1 avril 1947, (BAnQ)

Dans la nuit du 3 mai 1949, à la fin de son bail, une soirée d’adieu plutôt triste a eu lieu à l’El Morocco avec du champagne coulant comme le fleuve Saint-Laurent. A neuf heures du matin, alors que les équipes de démolition travaillaient à démolir le bâtiment, les célébrants célébraient toujours, tristement. Rocky Goldberg, qui s’occupait du bar, et un dénommé Hickey, qui dirigeait les projecteurs pour les spectacles, ont refusé de quitter les lieux jusqu’à ce qu’ils soient convaincus qu’un nouvel El Morocco rouvrirait bientôt sur un nouveau site. 1 L’immeuble s’écroula le 4 mai 1949 pour faire place à la Banque Canadienne Nationale.12

Image: El Morocco, 1445 rue Lambert-Closse derrière le Forum de Montréal

Après 5 ans de fermeture, le El Morocco rouvre ses portes au 1445 rue Lambert-Closse, derrière le Forum, le 1er mai 1954. C’est la chanteuse Pat Morrissey qui inaugure le 3è cabaret El Morocco. La salle est intime. L’éclairage est bas et discret.4 En quelques mois, il devient le rendez-vous préféré de tous les sportsman de la métropole.13 Il y avait d’excellents spectacles d’artistes bien connus ainsi qu’une troupe de choriste accomplie. Maury Kaye, le pianiste de jazz montréalais, dirigeait le groupe-maison.2 Alys Robi fut l’une des rares artistes canadiennes à se produire dans cet établissement haut de gamme qui préférait recevoir des vedettes étrangères telles que Dean Martin, Tony Bennett et Eartha Kitt.7 Édith Piaf y a tenu la tête d’affiche pendant une semaine complète en 1955 et en 1957.14,15

Image: El Morocco

Le cabaret El Morocco de Montréal, actif dans les années 1940 et 1950, n’acceptait pas les personnes noires comme clients. Bien que des musiciens noirs y aient été engagés pour se produire, ils n’étaient pas admis en tant que spectateurs. Cette pratique reflétait la ségrégation raciale présente dans certains établissements de divertissement de l’époque à Montréal.28

À l’hiver 1960-1961, un agent artistique avait convaincu l’El Morocco d’inviter un grand ensemble des États-Unis. Cet agent avait promis un spectacle rock éblouissant avec des costumes et des jeux de lumières. Toutefois, lorsque l’ensemble est venu jouer à Montréal, le propriétaire a découvert qu’il avait engagé non pas un groupe de rock novateur, mais un soi-disant prophète et magicien du clavier qui s’était donné le nom de Sun Ra, et les musiciens de son Arkestra. C’était le big band le plus coloré et le plus aventureux du jazz moderne, un groupe d’experimentalistes qui avaient oeuvré dans l’ombre à Chicago.  Lorsque le El Morocco s’est rendu compte que Sun Ra n’avait nullement l’intention de jouer du rock, le cabaret a résilié le contrat.16

Image: Sun Ra, 31 juillet 1961, The Gazette

Au fur et à mesure que la situation des clubs s’est détériorée dans les années 1950, en partie à cause de l’arrivé de la télévision, il était devenu de plus en plus difficile de soutenir les grandes têtes d’affiches qui demandaient de plus gros cachets et la fréquentation des cabarets a chuté progressivement au fil des ans.

Image: La Patrie, 13 septembre 1962, (BAnQ)

En janvier 1964, Ron Cash devient le nouveau propriétaire de l’El Morocco. Il inaugure à l’étage une nouvelle salle baptisée Casbah, mettant en vedette des danseuses exotiques, un concept très en vogue à l’époque.26,27

Le 27 mai 1964, la Régie des Alcools suspend le permis du El Morocco parce qu’il refusait de payer au gouvernement provincial ses dus en matière de taxes sur les hôpitaux. Ron Cash ferma ses portes. Un porte-parole du ministère des Finances a déclaré que la fermeture de ce cabaret, le plus grand de Montréal, « servirait d’exemples aux autres institutions du genre. »17

Après avoir été fermé pendant presque un an, et maintenant sous une nouvelle direction, l’El Morocco rouvre ses portes le 18 novembre 1965 à la même adresse. À l’affiche, un grand spectacle de variété intitulé Festival de la gaiété. Il y avait une vingtaine de showgirls, un mime et une chanteuse. L’orchestre était dirigé par le jazzman montréalais Lee Gagnon. La direction entendait suivre une politique de grands spectacles de variétés sans vedettes, de préférence au système de one-star-show qui était de rigueur à cet établissement depuis des années.18

Image: El Morocco, 29 novembre 1965, The Gazette

En 1966, Norm Silver, le propriétaire de l’Esquire Show Bar de Montréal, achète l’El Morocco et le transforme en restaurant-cabaret-théâtre.19 Il est entièrement rénové et pour la première fois, les montréalais peuvent prendre l’apéritif, dîner, et assister à un spectacle musical de style Broadway sous un même toit. L’El Morocco s’est assuré les services de Tommy Finnam III, producteur, directeur et chorégraphe de New York pour présenter des grandes comédies musicales.20

Image: Norm Silver’s Mustache, ex-El Morocco

En 1967, Guilda, le célèbre travesti, annonce qu’il achète avec plusieurs actionnaires le cabaret El Morocco. Le cabaret est rebaptisé Chez Guilda à compter du 25 mars 196721 mais est repris par Norm Silver l’été suivant et renommé Your Father’s Mustache. Le club présente initialement des spectacles de musique Dixieland et ensuite de rock & roll pendant les années 1970.22 Avec le temps, la musique passe au rock psychédélique, puis au hard rock. La scène heavy rock montréalaise s’articule autour du bar le Moustache.25 Norm Silver décède en 1980, suite à une longue maladie.23 L’immeuble se détériore et le promoteur Donald K. Donald et ses partenaires en font l’acquisition dans les années 1990.24 L’immeuble est depuis occupé par le Centre de Santé Meraki.

Sources
[1] Montreal Confidential, Al Palmer, p.55-56
[2] Grand opening tonight cabaret Morocco, The Gazette, 3 mai 1940
[3] Inauguration ce soir du cabaret El Morocco, Le Canada, 12 mars 1942
[4] Pat Morrissey ouverture El Morocco, Le Petit Journal, 9 mai 1954
[5] Un cabaret condamné à une amende de $200, La Presse, 18 juillet 1941
[6] Un maître de la comédie au El Morocco, Le Petit Journal, 28 septembre 1941
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/El_Morocco
[8] La Casa Nostra, Commissaire Gendarmerie Royale du Canada, 26 mars 1965
[9] À l’El Morocco, Le Canada, 15 mars 1947
[10] Gala d’ouverture El Morocco, La Patrie, 3 avril 1947
[11] Excellents débuts du nouveau El Morocco, Montréal-Matin, 10 avril 1947
[12] Édifice de la B.C.N sur le site de l’El Morocco, La Presse, 4 mai 1949
[13] La boite à vedette, Le Petit Journal, 14 novembre 1954
[14] El Morocco is proud to announce Edith Piaf, The Gazette, 9 décembre 1955
[15] El Morocco presents Edith Piaf, The Gazette, 15 janvier 1957
[16] Une histoire du jazz à Montréal, John Gilmore, p.319-320
[17] La RAQ suspend le permis du cabaret El Morocco, La Presse, 2 juin 1964
[18] Réouverture demain soir de l’El Morocco, La Presse, 17 novembre 1965
[19] Rock n roll and mustaches, The Gazette, 27 juin 1970
[20] L’El Morocco devient cabaret-théâtre, La Presse, 13 septembre 1966
[21] Guilda achète le El Morocco, Télé-radiomonde, 4 mars 1967
[22] Rock n roll and mustaches, The Gazette, 27 juin 1970
[23] Norman Silver dead at 69, The Record, 18 mars 1980
[24] A pocket of sanity on Lambert-Closse, The Gazette, 1 septembre 1990
[25] L’évolution du métal québécois, Félix B. Desfossés, p.101
[26] Ron Cash signs contracts for $50,000, The Gazette, 14 janvier 1964
[27] Night beat, The Gazette, Harold Whitehead, 14 février 1964
[28] Harlem of the North: Montréal, Little Burgundy Jazz and the Rise of Black Musicianship, Andy Williams, 25 octobre 2016

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1940
EL MOROCCO

Le cabaret El Morocco, actif de 1940 à 1966, a été l’un des lieux les plus emblématiques du nightlife montréalais, se déplaçant successivement rue Mansfield, rue Metcalfe et rue Lambert-Closse. Il offrait des spectacles de chant, comédie et danse, attirant des célébrités internationales comme Dean Martin et Édith Piaf, tout en étant décoré avec raffinement. Après une fermeture en 1949, il a rouvert en 1954 avec une nouvelle ambiance, avant de connaître des difficultés financières à cause de la concurrence de la télévision et des coûts des têtes d’affiche. En 1966, il a été transformé en restaurant-cabaret sous la direction de Norm Silver, avant de devenir « Chez Guilda » puis « Your Father’s Mustache », se réorientant vers le rock et le hard rock jusqu’à sa fermeture en 1980.

 

Image: The Gazette, 3 mai 1940, division Postmedia Network Inc.

1941
JUDY ELLINGTON HARRY ROSE SONS OF THE PURPLE SAGE
JUDY ELLINGTON HARRY ROSE SONS OF THE PURPLE SAGE

Source: The Gazette, 3 octobre 1941, division Postmedia Network Inc.

Lieu: El Morocco

COLETTE LYONS
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Source: The Gazette, 1 décembre 1941, division Postmedia Network Inc.

Lieu: El Morocco

1942
OUVERTURE DU EL MOROCCO : BENNY FIELDS
OUVERTURE DU EL MOROCCO : BENNY FIELDS

Source: The Gazette, 12 mars 1942, Postmedia Network Inc.

1947
OUVERTURE DU EL MOROCCO (RUE METCALFE)
OUVERTURE DU EL MOROCCO (RUE METCALFE)

Source: La Patrie, 1 avril 1947, BAnQ

JACKIE GLEASON
JACKIE GLEASON

Source: The Gazette, 2 juin 1947, Postmedia Network Inc.

1948
ARTHUR LEE SIMPKINS
ARTHUR LEE SIMPKINS

Source: Montréal-Matin, 8 novembre 1948, BAnQ

1949
WILLIE SHORE
WILLIE SHORE

Source: The Gazette, 7 janvier 1949, Postmedia Network Inc.

MAURICE ROCCO
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Source: The Gazette, 28 mars 1949, Postmedia Network Inc.

1955
ÉDITH PIAF
ÉDITH PIAF

Source: The Gazette, 9 décembre 1955, Postmedia Network Inc.

1956
ELLA FITZGERALD
ELLA FITZGERALD

Source: The Gazette, 27 avril 1956, Postmedia Network Inc.

1957
ÉDITH PIAF
ÉDITH PIAF

Source: Le petit journal, 13 janvier 1957, BAnQ

1958
FAWZIA
FAWZIA

Source: The Gazette, 3 janvier 1958, Postmedia Network Inc.

EARTHA KITT
EARTHA KITT

Source: The Gazette, 7 janvier 1958, Postmedia Network Inc.

THE PLATTERS
THE PLATTERS

Source: The Gazette, 21 février 1958, Postmedia Network Inc.

DELLA REESE
DELLA REESE

Source: The Gazette, 3 mars 1958, Postmedia Network Inc.

BILLY ECKSTINE
BILLY ECKSTINE

Source: The Gazette, 25 avril 1958, Postmedia Network Inc.

TONY BENNETT
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Source: The Gazette, 10 octobre 1958, Postmedia Network Inc.

VIC DAMONE
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Source: The Gazette, 28 novembre 1958, Postmedia Network Inc.

1959
PEARL BAILEY
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Source: The Gazette, 6 avril 1959, Postmedia Network Inc.

ARTHUR LEE SIMPKINS
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Source: The Gazette, 16 septembre 1959, Postmedia Network inc.

BROOK BENTON
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Source: The Gazette, 21 septembre 1959, Postmedia Network Inc.

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Source: The Gazette, 3 février 1961, division Postmedia Network Inc.

SUN RA
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Source: The Gazette, 31 juillet 1961, Postmedia Network Inc,

LES JEROLAS
LES JEROLAS

Source: The Gazette, 24 novembre 1961, Postmedia Network Inc.

1964

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