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Pot Pourri (Montréal)

Café-librairie et coffee house folk/jazz établi au 1430, rue Stanley en 1962, le Pot Pourri est entré dans l’histoire comme le premier endroit où Bob Dylan a joué au Canada, au cœur d’un immeuble déjà chargé d’histoires et promis à une destinée légendaire avec le Rainbow Bar & Grill.

1. Présentation

Le Pot Pourri est un café-librairie situé au 1430, rue Stanley, dans une vieille maison à sept marches à l’entrée. Héritier de la formule « bookshop + coffee house » inaugurée par le Ember Book Shop, il propose à la fois une librairie à l’avant et un café-spectacles à l’arrière.

Propriété de Moishe Feinberg et dirigé avec Mary Parr, le Pot Pourri s’inscrit dans le réseau des coffee-houses folk, jazz et blues du Montréal des années 1960. Il devient brièvement un foyer de la contre-culture et de la scène folk locale — et surtout le théâtre d’un épisode devenu mythique : la première prestation canadienne de Bob Dylan en 1962 [6][9][10][11].

2. Rue Stanley & 1430 Stanley : un contexte bouillonnant

La rue Stanley a longtemps été l’une des rues les plus excitantes de Montréal [2]. Dès les années 1920, elle se dote de clubs et de salles de danse comme le Carlton Club (1927, 1252 Stanley), le Lido-Venice (1929) et le cabaret Kit Kat (1930, 1224 Stanley). Juste à côté, le Palais d’Or (1226 Stanley) fonctionne pendant plus de trois décennies [2][4].

Entre les années 1920 et 1970, la rue Stanley est aussi considéré comme le premier quartier gai de Montréal et du Québec. À partir du début des années 1980, cette activité commerciale gaie se déplacera vers l’est de la ville [3]. Parallèlement, la rue attire cafés, librairies, cabarets et bars branchés, formant un véritable corridor culturel et nocturne.

Au cœur de ce microcosme, le 1430 Stanley devient une adresse emblématique : librairie contestataire, café folk, cabaret folklorique, discothèques à go-go, coffee-house légendaire, puis bar-restaurant mythique avec le Rainbow Bar & Grill.

3. De Seven Steps à Ember Book Shop

En 1960, à 26 ans, Bob “Bicycle Bob” Silverman ouvre la librairie Seven Steps au 1430 Stanley, nommée d’après les sept marches menant à l’entrée [5]. Située près de l’université Sir George Williams (future Concordia) et de cafés populaires comme le Pam-Pam, le Riviera et le Carmen’s, la librairie attire étudiants, lettrés, excentriques et militants [5].

Silverman, hipster-marxiste convaincu, se soucie peu de profit : il a l’habitude de « prêter » des livres aux clients qu’il trouve sympathiques, ce qui mène rapidement la librairie à la faillite [5][6]. Le comptable Robert Landori raconte une scène restée célèbre : un python acheté par Silverman à des débardeurs du port s’échappe et apparaît au-dessus du bureau, provoquant la panique de son associé [7].

Parmi les employés figure le journaliste et futur politicien Nick Auf der Maur, qui y découvre idées et théories et y lance plus tard sa première campagne électorale en 1974 [2][5]. Silverman fait faillite en 1961, part à Cuba en 1962, où il rencontre Che Guevara, gagne sa vie comme traducteur, puis est expulsé pour avoir voulu introduire de la littérature anti-soviétique [5].

En 1961, la librairie est remplacée par le Ember Book Shop et son Flaming Ember Coffee House à l’arrière, qui ouvre le 21 octobre 1961. Ce « coffeehouse-bookshop » se présente comme un lieu sophistiqué, offrant livres, café, spectacles de musique, poésie et théâtre, esquissant le modèle que reprendra le Pot Pourri [8].

4. Naissance du Pot Pourri (1962–1963)

Vers 1962, l’Ember change de nom pour devenir le Pot Pourri, propriété de Moishe Feinberg. Comme son prédécesseur, le lieu combine librairie à l’avant et coffee-house à l’arrière [6].

Feinberg et sa compagne Mary Parr y programment des spectacles de jazz, de blues et de folk. On y voit notamment le Montréalais Jack Nissenson, les Américains Dave Van Ronk et Fred Neil, ainsi que plusieurs autres musiciens folk de passage [9][10][11].

Le Pot Pourri devient un point de rencontre pour une petite communauté de jeunes intellectuels, militants et amateurs de folk, en dialogue avec d’autres cafés de la ville, dont le Finjan sur l’avenue Victoria, dirigé par Shimon Ash [11]. C’est dans cette atmosphère intime, parfois clairsemée, que se déroule l’épisode Dylan.

5. Bob Dylan au Pot Pourri

Le Pot Pourri passe à la postérité pour avoir accueilli le premier passage canadien de Bob Dylan, alors âgé de 21 ans, du 28 juin au 1er juillet 1962 [10][11]. Feinberg se souvient d’un jeune homme débraillé, calme, casquette de cheminot, qui chantait comme un héritier de Woody Guthrie. Dylan reçoit 200 $, doit payer son propre transport, et ne suscite pas l’enthousiasme unanime du patron [10].

La salle est presque vide : une douzaine de personnes tout au plus [11]. Parmi les spectateurs : Peter Weldon, Anna McGarrigle et Jack Nissenson (futurs Mountain City Four), Phyllis Birks, Bob Presner, et Shimon Ash du café Finjan [11]. Anna McGarrigle se souvient d’un Dylan très pâle, en chemise blanche, qu’elle compare à « un ver blanc » ; elle lui demande Baby Let Me Follow You Down, ce qui le met en joie car il veut savoir où elle a découvert la chanson [11].

Un témoin familial raconte que Dylan s’échauffe dans la salle de bain et qu’il interprète des titres de son premier album Bob Dylan (1962), déjà disponible à l’entrée du café, ainsi que plusieurs chansons qui paraîtront plus tard sur The Freewheelin’ Bob Dylan (1963), encore inédit à ce moment [6].

Selon plusieurs souvenirs, l’énergie vocale de Dylan divise le public : certains sont fascinés, d’autres quittent la salle. Après ses soirées au Pot Pourri, il se rend au Finjan, où il donne un long tour de chant surprise (1h30–2h). Jack Nissenson a la bonne idée d’apporter un magnétophone : la bande, longtemps inédite, deviendra le bootleg non autorisé Bob Dylan – Live Finjan Club, paru en 1991 sur l’étiquette Yellow Dog [11][12].

Si l’enregistrement connu provient du Finjan, c’est bien le Pot Pourri qui constitue le point d’entrée montréalais et canadien de Dylan, et qui inscrit définitivement le 1430 Stanley dans la cartographie mondiale de l’histoire du folk.

6. Après le Pot Pourri : Chez Jacques Labrecque, clubs go-go & New Penelope

En 1963, Moishe Feinberg vend le Pot Pourri au chanteur folklorique Jacques Labrecque [9][13]. Le rez-de-chaussée devient le restaurant-boîte Chez Jacques Labrecque, où l’on sert mets « typiquement canadiens » (cretons, pattes de cochon, fèves au lard) dans un décor de bois de grange, pendant que Labrecque chante chaque soir sur une petite scène [14].

Au fil des années 1960, le 1430 Stanley accueille ensuite une succession de discothèques à go-go de courte durée : Sans Souci, La Lune Rousse, Jerry’s Go-Go Club et Le Gai Piano, reflet d’une époque où les clubs se succèdent à un rythme effréné [15][16][17][18][19].

Pendant ce temps, au sous-sol, le café Blue Lantern (1965), puis le New Penelope (1966) de Gary Eisenkraft accueillent la crème de la scène folk et jazz de l’époque (Gordon Lightfoot, Richie Havens, Mountain City Four), avant que le New Penelope ne déménage sur la rue Sherbrooke et ne devienne un des hauts lieux de la vie nocturne montréalaise [20–25].

7. Vers le Rainbow Bar & Grill

Au début des années 1970, le rez-de-chaussée se transforme en Seven Steps Pub (1970–1972), bar fréquenté par une clientèle jeune, cheveux longs, pantalons pattes d’éléphant et jupes bohèmes [26][27][28]. Le lieu est aussi le théâtre d’événements violents, dont des fusillades, avant d’être fermé par les autorités en janvier 1972 pour non-respect de la réglementation [29][30].

En 1972 ouvre le Rainbow Bar & Grill, fondé par Judy Ponting, Don Woodward, Wayne Kratch et Colin Nelson [2][31][32]. Bar, restaurant, lieu de rassemblement, centre de conversation, de jeux, de projections de films et parfois de spectacles, le Rainbow devient pour ses habitués aussi mythique que le Rick’s Café de Casablanca [1].

On y croise hommes d’affaires, cinéastes, écrivains, universitaires révolutionnaires, politiciens, et une faune bigarrée qui lit le New York Times, fume des Gauloises et discute politique [32][33]. C’est là que le mouvement politique Rassemblement des Citoyens de Montréal prend forme, et que Nick Auf der Maur installe son quartier général de campagne [1][2].

Même après l’incendie de 1981 causé par le restaurant El Parador au sous-sol [1][34], puis les réincarnations successives en restaurants divers, l’immeuble des « sept marches » conserve la réputation d’un lieu exceptionnellement riche en histoires, dont le Pot Pourri représente un chapitre clé.

8. Héritage & importance historique

Bien que de courte durée, le Pot Pourri occupe une place privilégiée dans l’histoire culturelle de Montréal. Il incarne le modèle du café-librairie folk où se croisent livres, musique, militantisme et contre-culture, à un moment charnière du début des années 1960.

Sa plus grande singularité demeure l’accueil du premier passage canadien de Bob Dylan, devant une poignée de spectateurs partagés entre fascination et incompréhension. En cela, le Pot Pourri rattache le 1430 Stanley à une histoire qui dépasse largement les frontières de Montréal et du Québec.

Pour la mémoire des salles, des cafés et des coffee-houses montréalais, le Pot Pourri constitue donc une pièce maîtresse : un lieu discret, parfois oublié, mais central dans la généalogie de la scène folk montréalaise et dans la trajectoire d’un des plus grands auteurs-compositeurs du XXe siècle.

9. Notes & sources

  1. Rainbow Bar & Grill drew the famous and the offbeat, The Gazette, 5 février 1989.
  2. Building sports new face but memories are old, The Gazette, 28 novembre 1986.
  3. Wikipedia : Rue Stanley.
  4. Montreal Stanley street down through the years, R.N. Wilkins, 2016.
  5. Robert “Bicycle Bob” Silverman dead at 88, The Gazette, 2016.
  6. Brian Nation : Seven Steps Pot Pourri, 1995.
  7. The Seven Steps bookstore, Robert Landori, 2020.
  8. The sophisticated scene in Montreal is now at 1430 Stanley, The Gazette, 20 octobre 1961.
  9. Mary Isabel Parr Pinkston, The Progress, 2009.
  10. Quebec Anglophone Heritage Network, 2013.
  11. « He was crazy but I was impressed », The Gazette, Dane Lanken, 12 janvier 1974.
  12. Wikipedia : Bob Dylan bootleg recordings (Live Finjan Club, Yellow Dog, 1991).
  13. « Jacques Labrecque a reporté à septembre l’ouverture de son Pot-Pourri », Photo-Journal, 14 septembre 1963.
  14. « Chez Jacques Labrecque un vrai poste de traite », La Patrie, 28 novembre 1963.
  15. Club Sans Souci ouverture, La Presse, 16 février 1966.
  16. Notice to creditors in the matter of bankruptcy Club Sans Souci, The Montreal Star, 17 septembre 1966.
  17. Jerry’s Go-Go club shows dancing fun, The Gazette, 20 avril 1967.
  18. Grand opening tonight of Le Gai Piano, The Montreal Star, 5 décembre 1968.
  19. La Lune Rousse, The Montreal Star, 10 décembre 1966.
  20. Folk coffee house appeals to college set, The Montreal Star, 15 octobre 1965.
  21. Montreal Underground Origins, « The New Penelope café and its era », appel public, 2021.
  22. New coffee shop hopes to draw folksinging set, The Montreal Star, 27 août 1965.
  23. Bright spots in a desert of night life, The Montreal Star, 22 juillet 1966.
  24. Pink Floyd sales boom, The Gazette, 15 juin 1977.
  25. « His folk clubs rocked », The Gazette, 28 décembre 2004.
  26. « Les jeunes dans les bars et les tavernes du pays », La Voix de l’Est, 20 janvier 1972.
  27. Everybody happy with drop of legal drinking age to 18, The Gazette, 29 novembre 1971.
  28. Portail de la mode, histoire mode années 1970.
  29. Cabbie, doorman are shot, The Montreal Star, Robert Taylor, 6 août 1971.
  30. « Trois cabarets fermés à Montréal », Le Devoir, 19 janvier 1972.
  31. Sweat, toil, tears the brew for stirring up a Rainbow, The Montreal Star, Keitha McLean, 7 avril 1972.
  32. The Rainbow: a place for friends, The Gazette, 20 octobre 1972.
  33. From Rainbow to Darwins, Coolopolis, 2017.
  34. Fire damages restaurant, bar, The Gazette, 13 mai 1981.
  35. Montreal bars of the eighties, DC Montreal, 2017.
  36. « Pionnier du cyclisme », La Presse, 16 juin 1987.
  37. Valérie Plante, message Twitter, 20 février 2022.
  38. Robert “Bicycle Bob” Silverman dead at 88, The Gazette, 2016.
  39. Registre des entreprises du Québec : 9205-3198 Québec Inc.
  40. Témoignage de Dean Thomson, ex-employé du Rainbow Bar & Grill, 2023.
  41. Mémoire et synthèse : Montréal Concert Poster Archive (MCPA).
1962
DAVE VAN RONK
DAVE VAN RONK

Source: The Montreal Star, 24 novembre 1962

FRED NEIL
FRED NEIL

Source: The Montreal Star, 5 juillet 1962

BOB DYLAN
BOB DYLAN

Source: The Montreal Star, 30 juin 1962

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